Biennais orfèvre de S. M. l'Empereur et roi, au singe violet, tient fabriques
Jean-Pierre COLLIGNON
Né à Lacochere près d’Argentan dans l’Orne en 1764, Martin-Guillaume Biennais est moins connu pour sa vie que pour son œuvre considérable qui en fait le meilleur orfèvre de son époque avec Henri Auguste et Jean-Baptiste-Claude Odiot. Il concrétise par son seul nom toute l’orfèvrerie impériale, comme le nom de Jacob Desmalter est synonyme de mobilier d’Empire.
On ne connait que de choses sur sa famille qualifiée de « modeste » et de son apprentissage qu’il dut effectuer très tôt à Paris auprès des meilleurs faiseurs puis comme simple ouvrier tabletier. Cette formation déterminera son goût prononcé pour les nécessaires en argent qui resteront une des ses spécialités. A la Révolution il s’orienta plus vers la carrière d’orfèvre sans grâce à l’abolition des corporations.
On ne s’étonnera guère, en période de Révolution et en tenant compte des baisses de commandes dues à l’immigration, de la fin certaine de plusieurs maisons importantes habituées à fournir les rois et les princes. Ces entreprises ne pouvaient subsister non seulement en tant que ci-devant fournisseurs mais encore à cause du luxe qu’elles représentaient, mot à lui seul voué à l’exécration populaire.
On connaît aussi la baisse de qualité que la Révolution apportera en toutes choses dans le domaine des produits manufacturés, particulièrement celui des armes d’épaule et de poing : on n’éprouve plus, on copie les armes de l’Ancien régime en supprimant même les métaux « nobles » au profit d’aciers de médiocre qualité pouvant conduire à l’accident en service. Il en est de même pour la fabrication des armes blanches, c’en est fini de la belle ouvrage, il faut produire en quantité pour sauver la Patrie en danger car en temps de Révolution le genre humain est en vacances…
Etabli vers 1789 au 119, rue Saint-Honoré et aussi au 511 à l’enseigne réputée « Au Singe Violet » le jeune Biennais dut son succès et sa fortune non seulement grâce à son courage et son talent mais à une circonstance fortuite. Ebloui par les succès du jeune Bonaparte et confiant quant à la suite des évènements, l’orfèvre lui accorda un large crédit à son retour d’Egypte pour des livraisons considérables sans exiger de remboursement. Ce pari sur l’avenir se révéla juste, l’Empereur n’oublia jamais cette marque de confiance en nommant Biennais son orfèvre personnel.
Entre 1791 et 1802 il n’est que tabletier et fournit aux Tuileries en 1800, à l’arrivée des Consuls, des jeux de dames, des crochets de montre et des soufflets. Ce n’est qu’ensuite qu’il ajouta à son catalogue la fabrication de petits meubles de grande qualité à forte valeur ajoutée.
Son enseigne acquiert rapidement la célébrité en attirant la fleur de la société française et les cours européennes, exception faite de l’Angleterre en raison du blocus continental.
Or, en cette année 1804 les commandes fastueuses de l’Empire, de la ville de Paris et de la nouvelle cour imposent un rythme de production sans précédent. Précipiter la fabrication et employer une main d’œuvre moins qualifiée n’auraient pu que nuire à la profession, le maître ne pouvant plus superviser sa production. Fort heureusement il n’en fut rien, la mode aussi a ses mystères et si les modèles de l’Ancien régime existent encore pour les nostalgiques du passé, le nouveau style n’est pas rompu et l’ensemble des œuvres d’avant et après le sacre ne manquera pas d’homogénéité puisque l’on peut y ajouter après coup les armes impériales.
Outre ses qualités d’orfèvre de qualité il faut reconnaître à Biennais un sens inné d’organisation, rare pour l’époque, c’est un chef d’entreprise employant plus de 600 ouvriers. Ses collaborateurs sont judicieusement choisis : Abel-Etienne Giroux, Marie-Joseph-Gabriel Genu, François-Dominique Naudin, Piere-Benoît Lorillon et Jean-Charles Cahier. Il est utile d’ajouter que c’est à cause d’une gestion déficiente que les grands orfèvres Thomas Germain (l’orfèvre des Rois) puis Auguste se retrouvèrent sur le chemin de la faillite.
On voit dans l’entreprise Biennais un début d’industrialisation assez net mais la perfection du travail est toujours présente et recherchée, conforme aux traditions. Ses créations obtiendront plusieurs médailles d’or, lors des expositions des « Produits de l’Industrie Française » en 1806 et 1819 et cela grâce aussi aux dessins de Denon et de l’architecte Charles Percier.
Sa production est ensuite dirigée vers la somptueuse vaisselle de table avec ou sans coffret d’acajou aux pièces savamment imbriquées sans oublier les tabatières et les croix d’ordres militaires, les épées d’apparat et les objets de culte.
Sous l’Empire son enseigne nous apprend qu’il se tient au 283, rue Saint-Honoré près de la rue de l’Echelle comme orfèvre de Leurs Majestées (sic) Impériales et Royales à Paris, de Leurs Majestées (sic) le Roi de Hollande et de Westphalie. On le vérifiera aisément puisque nous rencontrons parfois en ventes publiques les croix des ordres de ces royaumes dûment poinçonnées.
Son estampille la plus courante est : Biennais Au singe violet mais parfois il signait Biennais avec ou sans adresse et les mentions Orfèvre ou Fournisseur du Premier Consul, puis de S. M. ou LL. MM., Md. Tabletier Ebéniste, en capital ou en cursives.
On peut reconnaître immédiatement certaines œuvres de Biennais dans le domaine des Ordres pour lesquels il avait une prédilection marquée. Il aime les fonds matés, les étoiles, les abeilles mais sans en accentuer l’effet. Le décor ciselé est toujours fin, léger, en harmonie avec les formes.
Pour l’année 1811 le montant de ses fournitures s’élevait à 720.199 francs. Ses factures de couleur verte sont spectaculaires et recherchées de nos jours. L’en-tête publicitaire « Biennais, au singe violet tient fabriques » est divisée en trois rubriques : d’Orfèvrerie, d’Ebénisterie, de Tabletterie. Elles sont intéressantes, pour nous permettre d’évaluer aisément le prix des pièces neuves et les réparations (réémaillage ou changement des centres pour les Ordres).
Martin Guillaume Biennais se retirera en 1819 après avoir cédé son fonds à son collaborateur Jean-Charles Cahier, né en 1772. Très influencé par le style du maître ce dernier sera spécialisé dans l’orfèvrerie religieuse et deviendra l’auteur de l’ensemble des pièces commandées pour le sacre de Charles X et exécutées d’après les dessins de L. Lafitte et de Charles Normand.
Biennais meurt à Paris le 26 mars 1843 en laissant à ses enfants et petits-enfants une certaine fortune. Cet orfèvre de génie fut aussi un honnête homme, il symbolise le talent, la réussite exemplaire et la perfection artistique appréciée des musées et des amateurs du monde entier. Il était chevalier de la Légion d’honneur depuis 1831.
Poinçon de maître de l’orfèvre Biennais
Dans un losange il indique l’initiale de l’orfèvre surmonté de l’attribut de sa célèbre enseigne, en l’occurrence le fameux singe accosté de deux points représentant les grains de remède de tolérance du titre. Ce poinçon de maître était destiné aux gros ouvrages.
Sources bibliographiques :
- Collection Connaissance des Arts « Grands artisans d’autrefois », les grands orfèvres de Louis XIII à Charles X, Hachette, Paris 1965.
- Serge GRANDJEAN « L’orfèvrerie du XIXe siècle en Europe », l’œil du connaisseur, PUF, Paris 1962.
- Jean-Marie PINÇON et Olivier GAUBE du GERS « ODIOT l’orfèvre – 3 siècles d’Histoire d’art et de créations », Ed. sous le vent, 1990.
- Denise LEDOUX-LEBARD « Les ébénistes du XIXe siècle – 1795-1889 – leurs œuvres et leurs marques », Les éditions de l’amateur, Paris 1984.