Le portrait de Monsieur en grand-maître de l’Ordre Royal de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel
Laurent Hugues
Inspecteur des Monuments historiques
« C’est sous le magistère de Monsieur que l’Ordre de Saint-Lazare a acquis le plus haut degré de splendeur. L’éclat dont cet ordre brille aujourd’hui est le résultat d’une organisation que ce prince a ordonnée et à laquelle a présidé cet esprit de sagesse et de grandeur qui caractérise tout ce qui émane de son génie »1.
Quoique rédigé sous la Restauration et quelque peu suspect de flatterie à l’égard d’un prince devenu souverain, ce texte traduit fort justement l’attention toute particulière qu’accorda Louis-Stanislas-Xavier de France, comte de Provence, à l’ordre royal de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel. Il en fut nommé grand-maître en 1773, succédant à son frère le futur Louis XVI.
Doté d’un amour-propre infini, son ambition se trouvait limitée par son statut de cadet qui l’écartait de la direction des affaires publiques et des grands évènements politiques. En relevant avec éclat l’ordre de Saint-Lazare et de Notre-Dame du Mont-Carmel, il satisfaisait son goût pour le faste et le cérémonial. Il devenait le dispensateur de distinctions honorifiques qui, pour être moins prestigieuses que celles conférées par l’ordre du Saint-Esprit, étaient très recherchées. Le prince trouvait ainsi un moyen de récompenser ceux qui lui étaient dévoués et de s’attacher la noblesse.
Dès 1775, il promulgua un nouveau règlement qui limitait à cent le nombre de chevaliers répartis en deux classes selon l’importance de leur grade militaire. L’ordre comprenait également des commandeurs ecclésiastiques qui appartenaient à la première classe. En 1779, par un second règlement, l’ordre de Notre-Dame du Mont-Carmel créé par Henri IV en 1608 et uni à celui de Saint-Lazare, fut réservé aux élèves de l’Ecole Royale militaire qui s’étaient particulièrement distingués.
Les cérémonies de réception se déroulaient d’ailleurs dans la chapelle de l’Ecole militaire. Les archives de l’ordre et la salle où se tenaient les conseils avaient été installés dans les écuries de Monsieur, près des Invalides.
Par son mémoire du 14 février 1785, le peintre Rémy-Furcy Descarsins demandait au surintendant de la maison du prince, le paiement au prix convenu de 480 livres « pour une copie du portrait de Monsieur qui doit être placée dans la salle du Conseil de l’ordre de Saint-Lazare »2.
Le sculpteur François-Joseph Duret avait livré en décembre 1784 « une bordure pour le portrait en pied de Monsieur pour être placé dans le salon des archives de l’ordre de Saint-Lazare », au prix de 659 livres3.
Ce portrait n’est autre que celui conservé par le musée de Versailles (n° MV3970)4 récemment mis en dépôt au Musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie. Le prince y est représenté dans le costume de grand-maître de l’ordre de Saint-Lazare et en désigne les statuts qu’il vient de modifier.
Le texte même du mémoire de Descarsins qualifiait ce tableau de copie. Il s’agit précisément de la huitième copie du grand-portrait en pied de Monsieur, commandée à Descarsins par la surintendance des Bâtiments du prince depuis 1784. Jusqu’à présent, cette œuvre était attribuée à tort à François-Hubert Drouais ou à Antoine-François Callet. La vérité est plus complexe.
Ce portrait reprend en effet la composition générale de l’œuvre commandée à Drouais en 1773 et exposée au salon de 1775 (illustration ci-dessus) dont le meilleur exemplaire est celui envoyé à Angers dès 1775, aujourd’hui conservé au musée des Beaux-Arts. Sur ce tableau destiné à la capitale de l’apanage constitué par Louis XV à son petit-fils, le prince représenté en costume de chevalier de l’ordre du Saint-Esprit, désigne de l’index un livre ouvert portant l’inscription « privilèges de la ville d’Angers », privilèges dont il devient le garant. La différence avec la toile de Descarsins porte évidemment sur le costume mais aussi sur le visage. Celui peint par Descarsins est emprunté au portrait en buste peint en 1782 par Louise-Elisabeth Vigée-Lebrun. Ce portrait original qui fut payé le 30 novembre 1782 à l’artiste5 est passé en vente chez Sotheby’s à Monaco, le 2 décembre 19886 (illustration ci-après).
Modifier un visage tout en conservant la composition d’un portrait en pied antérieur était chose courante et c’est Mme Vigée-Lebrun elle-même qui exécuta le prototype du « nouveau portrait » de Monsieur mêlant son œuvre à celle de Drouais comme le prouve le mémoire rédigé le 21 juin 1783 par le surintendant du prince, Cromot du Bourg : « Je mets sous les yeux de Monsieur un certificat de l’Intendant de ses Bâtiments qui constate que Mad. Lebrun, peintre du Roi, vient de lui remettre le nouveau portrait en pied de Monsieur qu’elle a été chargée de peindre pour servir d’original et de modèle aux copies qu’il plaira à Monsieur d’en ordonner. Le prix de ce portrait est de 3.000 livres dont Monseigneur est supplié d’approuver le payement et de signer en conséquence une ordonnance au nom de Mad. Lebrun »7. Le prix prouve qu’il ne pouvait s’agir d’un portrait entièrement original. Un exemplaire est conservé à Versailles sous le n° MV 38958 (illustration ci-dessous). Il est probablement dû à Descarsins qui avait été chargé de fournir toutes les copies nécessaires pour le service de Monsieur. La copie destinée à l’ordre de Saint-Lazare nécessita les modifications du costume et de l’inscription.
On sait enfin que ce portrait avait celui de Louis XVI pour pendant. Le 28 octobre 1784, le marquis de Montesquiou écrivait au nom de Monsieur au comte d’Angiviller, directeur des Bâtiments du Roi : « Vous vous rappelez sans doute, Monsieur le Comte, que Monsieur et le conseil de l’ordre de Saint-Lazare ont fait construire à Paris une nouvelle maison pour y placer les archives de l’ordre. Il y a dans cette maison une salle destinée à tenir les conseils de l’ordre. Il ne faut à cette salle d’autre ornement que deux grands tableaux et le conseil a eu l’honneur de proposer à Monsieur d’y placer le portrait du Roi et le sien. Ce prince a agréé la proposition et il m’a en conséquence chargé de vous prier de sa part de vouloir bien engager S. M. à faire présent de son portrait à l’ordre… »9. Ce portrait était une copie peinte par le peintre Lassave d’après l’œuvre de Duplessis10.
L’ordre de Saint-Lazare fut supprimé en 1791 mais c’est en 1794 (25 frimaire, an 2), qu’un certain Lemonnier dressa un état sommaire des biens meubles du « ci-devant ordre de Saint-Lazare »11. Il nota ; « des dix tableaux qui sont autour de cette salle, il ne faut conserver que les bordures qui sont neuves et très belles. » C’est sans doute grâce à son encadrement que le portrait de Monsieur fut conservé et intégra les collections publiques.
Notes de bas de pages
- Code des ordres de chevalerie du royaume dédié au Roi Paris, 1819.
- Archives nationales R5 22,pp. 145-147.
- Bibliothèque d’Art et d’Archéologie Jacques Doucet, Ms 76, p.74V°.
- Toile 240 cm x 152 cm (Cf. reproduction ci-dessous)
- Archives nationales, R5 18 p. 363.
- Toile ovale, 71,50 cm x 56,50 cm.
- Archives nationales R5 18, p. 754.
- Toile 245 cm x 161 cm.
- Archives nationales, O1 1074, pièces 272-273.
- Archives nationales, O1 1922 A, à Lassave.
- Archives nationales, F17 1036 A n° 105.