Le grand manteau de l'ordre du Saint-Esprit au musée de la Légion d'honneur

 

 

par Jean-Paul Leclerq

conservateur au musée de la Mode et du Textile,

Union Centrale des Arts décoratifs, Louvre

 

 

 

 

 

 

Fig. 6 : Orant du tombeau du Maréchal Alphonse d'Ornano (1548-1610), marbre blanc, vers 1610 (détail). Musée d'Aquitaine, Bordeaux, cliché J.-M. Arnaud, tous droits réservés.

Le Maréchal fut reçu dans l'ordre en 1597, mais le collier représenté par le sculpteur présente à la fois les monogrammes grecs (abandonnés en 1595) et les trophées (qui les remplacèrent).

 

 

 

 

 

 

 

Fig. 7 : Orant du tombeau du Maréchal Alphone d'Ornano, vu de trois-quart arrière (détail).

Musée d'Aquitaine, Bordeaux,

cliché J.-M. Arnaud, tous droits réservés.

 

C’est à savoir, l’Huissier marchera devant, le Héraut après l’Huissier, le Prevost, le Grand Trésorier, & le Greffier, ledit Prevost au milieu des deux autres, & le Chancelier seul après. Puis marcheront lesdits Commandeurs, deux à deux selon le rang qui sera cy-après dit. Après lesquels ira ledit Souverain & Grand Maistre, qui sera suivi des Cardinaux et Prelats qui seront dudit Ordre. Ledit Grand Maistre et les Commandeurs, vestus de longs manteaux, faits à la façon de ceux qui se portent le jour de la Saint-Michel, de velours noir en broderie tout autour d’or et d’argent : ladite broderie faite de fleurs de lis & nœuds d’or, entre trois divers chiffres d’argent ; et au dessus des chiffres, des nœuds & et fleurs de lis, il y aura des flambes d’or semées. Ledit grand manteau sera garni d’un mantelet de toile d’argent verte, qui sera couvert de broderie faite de mesme façon que celle du grand manteau ; réservé que au lieu des chiffres, il y sera mis des Colombes d’argent. Lesdits manteaux & mantelets seront doublez de satin jaune orangé. Et se porteront lesdits manteaux retroussez du costé gauche, & l’ouverture sera du costé droit, selon le patron qu’en avons fait faire : & porteront chausses & pourpoints blancs, avec façon à la discrétion du Commandeur ; un bonnet noir, & une plume blanche. Su lesdits manteaux, porteront à découvert le grand Collier de l’Ordre, qui leur aura ésté donné à leur réception. Pour le regard desdits Officiers, le Chancelier sera vétu tout ainsi que lesdits Commandeurs : mais il n’aura le grand Collier, ains seulement la Croix cousüe au devant de son manteau, & celle d’or pendante au col. Le Prevost, le Grand Trésorier, & le Greffier, auront aussi des manteaux de velours noir, & le mantelet de toile d’argent verte : mais ils seront seulement bordez à l’entour de quelques flambes d’or, & porteront aussi le Croix de l’Ordre cousüe & celle d’or pendante au col. Le Héraut et l’Huissier auront des manteaux de satin, & le mantelet de velours vert, bordé de flambes, comme ceux des susdits Officiers.

Statuts de l’Ordre du Saint-Esprit, article LXXI

 

 

 

 

 

 

Fig. 8 : Grand manteau de l'ordre du Saint-Esprit, 1818-1819, 

Musée du Louvre. Vue générale à Plat.

Cliché R

R.M.N.

 

Récemment restauré par une équipe dirigée par Véronique Monier, le grand manteau de chevalier de l’ordre du Saint-Esprit que conserve le musée de la Légion d’Honneur est exposé depuis le 14 octobre dans une vitrine spécialement conçue par le Conservateur du Musée, Véronique Wiesinger, qui m’a demandé, à cette occasion, de replacer ce manteau de l’époque de Louis XVIII dans la chronologie des ornements de l’Ordre.

 

Des articles publiés en 1972, 1984 et 1994 ont traité des manteaux de l’Ordre à propos du manteau conservé au musée du Costume et de la mode de la Ville de Paris (Galliéra)1, de celui du musée de l’Armée (Invalides)2 et les objets et ornements de l’Ordre conservés au Louvre3, mais sans aborder réellement les techniques de broderies employées. Un premier examen des œuvres et l’identification d’un ornement de l’Ordre, une garniture de prie-Dieu probablement, dans les collections du musée de la Mode et du Textile (Union Centrale des Arts Décoratifs, Louvre) me permettront de poser quelques jalons : la permanence du programme iconographique, régi par les statuts de l’Ordre, met en évidence quelques-uns des traits principaux de l’évolution de la broderie métallique de la fin du XVIe siècle à l’époque de la Restauration.

 

Un premier point commun est l’emploi de tissus unis, sur lesquels se détache la broderie, qui forme tout le décor sans masquer le fond. Il n’y a aucun décor tissé. Les statuts de l’Ordre précisent que les grands manteaux doivent être en velours noir - un velours coupé uni -, avec un mantelet de « toile d’argent verte », en fait un taffetas ou un gros de Tours verts, avec une trame supplémentaire métallique, trait, lame ou filé.

 

Le second point commun est la prédominance de la broderie métallique, dorée, argentée à un moindre degré, la polychromie se limitant pour l’essentiel au rouge et or des flammes mentionnées dans les statuts, mais qui ne devient manifeste qu’avec les paillettes vernies des manteaux de la Restauration. La broderie de soie polychrome est limitée à quelques détails, et ce n’est pas ici le lieu de la « peinture à l’aiguille » ni de la broderie de perle familières aux amateurs d’ornements liturgiques. C’est un art qui recherche la vigueur et le contraste plus que la nuance. Les raffinements sont davantage dans la disposition des motifs des flammes, dans la recherche du relief et dans le dessin des trophées qui, avec les H couronnés et les fleurs de lis, reproduisent le décor du collier de l’Ordre sur le pourtour du mantelet et du manteau. Sous la Restauration se renforce le camaïeu or et argent et apparaît une polychromie très vive, en tons tranchés, par l’emploi du métal verni, rouge ou vert, à quoi s’ajoutent diverses applications de tissus unis, verts ou bleus, avec des procédés qui accélèrent l’exécution.

 

 

Chronologie des pièces examinées

 

 

 

Fig. 9 : E. Boetzel d'après H. Catenacci, 

Musée des Souverains. Vue de la chapelle du Saint-Esprit, gravure,

extrait du Musée des Familles, lectures du soir,

Paris, t. 21, 1853-1854,

P. 28.

 

 

Le musée du Louvre expose des ornements d’origine de la chapelle de l’ordre du Saint-Esprit, en « toille d’or lamée en quatre filz sur champ verd », livré par Pierre Le Grand et Macé Papillon, marchands fournisseurs de l’argenterie du roi, et brodée en 1585-1587 par Claude de Luz, brodeur ordinaire du roi4. Le dais, le retable et l’antependium sont ornés de médaillons historiés, qui sont à rapprocher d’autres broderies en or nué du XVIe siècle, et n’importent ici que par le collier de l’Ordre qui leur sert de cadre et peut être rapproché du décor des mantelets, de même que le fond orné de motifs de flammes. Le collier brodé sur ces ornements est fait de la répétition des trois monogrammes du collier créé par Henri III lors de la fondation de l’Ordre et dont la lecture comme l’interprétation demeurent controversées. Aucun des grands manteaux d’origine ne semble avoir été conservé.

 

 

 

Fig.10 : Détail de la traîne du grand manteau du musée de la Légion d'honneur avant restauration :

on y voit les ravages de l'humidité et une restauration hâtive des déchirures du velours. 

Cliché A. Lorgnier.

La « toile d’or lamée » est en soie verte, d’armure taffetas, avec des traits de métal, or ou argent doré, et non pas une lame ou un filé. Un tissu identique ou voisin a pu être utilisé pour le mantelet des grands manteaux. Les motifs de flammes sont alignés suivant une disposition approximative, dont la maladresse est manifeste sur le dais autour du médaillon (qui est d’une toute autre qualité) et sans rapport avec le jeu de courbes entrecroisées que l’on observe sur les manteaux brodés aux siècles suivants.

 

Le dessin du motif de flammes est asymétrique, sobre, limité à trois grandes flammes larges, dressées, et à une quatrième presque horizontale, étroite et plus courte. Ce parti n’a pas été repris sur les manteaux ultérieurs, où les motifs ont un dessin approximativement symétrique, avec alternance de flammes étroites et de flammes larges. Les flammes larges et les monogrammes sont brodés en relief suivant un procédé bien caractérisé : le brodeur fixe d’abord sur le tissu le matelassage fait de gros fils juxtaposés et superposés suivant le dessin, puis recouvre ce matelassage d’une lame large, dorée (flammes) ou argent (monogrammes), repliée en zigzag à chaque passage, et maintenue par un point de soie dans chaque pli. Un cordonnet doré est ensuite fixé pour cerner le motif et masquer les points. Ce procédé est utilisé encore sur les grands manteaux du Louvre (1633 ?), en 1676 sur le manteau offert par Louis XIV à Jean III Sobieski (Cracovie, château royal du Wawel), et encore dans le troisième quart du XVIIIe siècle, à côté des paillettes comptées utilisées pour les motifs de flammes isolés, sur le manteau du Palais Galliéra. C’est aussi la technique utilisée pour les H de la pièce 7 844 conservée au Musée de la Mode et du Costume (UCAD, Louvre) et qui date probablement de la fin du XVIIe siècle. Sous Louis XVIII, les flammes ne sont plus en relief, et les H matelassés sont recouverts d’une fine cannetille et non plus d’une lame.

Les ornements qui suivent sont tous postérieurs à la réforme d’Henri IV de 1597. 

Dès lors, le collier est constitué du chiffre d’Henri III, H entre trois couronnes, une guirlande au-dessus, et de trophées alternant successivement avec des fleurs de lis (en couverture et fig. 11). Cet enrichissement du programme iconographique a favorisé la multiplication des matières et des procédés pour donner du relief aux couronnes et aux trophées, avec une évolution vers le bas-relief par superposition d’éléments préparés à part puis assemblés les uns aux autres et fixés enfin sur le manteau.

 

Les manteaux les plus anciens sont probablement ceux qu’expose le Louvre : le manteau du chancelier et les trois manteaux de grands officiers, à quoi il faut ajouter le manteau d’huissier, en satin noir et non plus en velours, qui se trouve en réserve. Ce sont peut-être les manteaux d’officiers renouvelés pour le chapitre de 1633, réuni à Fontainebleau. Comme le fixent les statuts, le manteau du chancelier est semblable aux manteaux des chevaliers et orné comme eux du collier de l’Ordre brodé sur le pourtour du mantelet et du manteau sensu stricto, mais est demeuré la propriété de l’Ordre comme ceux des autres officiers, tandis que les manteaux de chevaliers appartenaient à ceux-ci. Sur le manteau du chancelier encore, le traitement des motifs de flamme est partiellement différent : les flammes larges sont recouvertes d’une lame dorée, simplement guipée, ce qui donne à ces flammes moins de relief mais plus d’éclat, tandis qu’elles sont matelassées, suivant le procédé décrit plus haut, sur les autres manteaux. Si cela ne traduit pas une différence d’époque, il reste à déterminer si cette différence de parti était concertée et marquait une hiérarchie ou provient de circonstances à élucider : modification de la commande, travail d’un autre atelier, différence de coût et dans quel sens, différence de détails avec les manteaux de chevalier, etc.

 

Identique sur tous ces manteaux, le traitement des flammes étroites relève d’un autre procédé bien caractérisé. Sur les ornements de 1585-1587, la flamme étroite était limitée à un cerne en cordonnet doré, sans espace interne, et couché sur le tissu de fond. Les flammes étroites sont ici un peu plus larges, et cernées d’un cordonnet associant un filé doré et un fil de soie rouge tordus ensemble, ce qui confère à ces flammes une couleur rouge foncé. L’étroitesse des flammes rendait impraticable le principe de la lame repliée en zigzag, qui permet de suivre un dessin ondoyant. L’application d’une lame large posée à plat et fixée de loin en loin par des points de soie supposait une découpe en forme ou en déformation, aurait laissé les points trop apparents et trop vulnérables et rendu trop visibles aussi les torsions de la lame dues à l’utilisation du manteau. Restait un procédé connu dans ce genre d’emploi sur d’autres types de broderies : prendre une lame de métal et lui imprimer des ondulations transversales. Ces ondulations donnent à la lame la souplesse nécessaire pour suivre en plan le dessin de la flamme et verticalement les mouvements du tissu, renvoient la lumière de manière discontinue et dissimulent les points de fixation tout en les protégeant. En 1676, sur le manteau offert à Jean III Sobieski, ce procédé n’est plus utilisé pour les flammes étroites, qui sont faites de l’application d’un simple cordonnet, rouge et doré probablement (examen d’après les photographies en noir et blanc).

Le dessin des couronnes et des rameaux de laurier entrecroisés rapproche le manteau du chancelier de 1633 (?) et le manteau offert à Jean III Sobieski en 1676, et de celui-ci la pièce conservée au Musée de la Mode et du Textile, où les baies de lauriers sont figurées et traitées en cannetille là où l’on eût attendu des paillettes. Cette pièce, au décor limité à un trophée entre deux H, les fleurs de lis étant remplacées faute d’espace par deux entrelacs de cordelière, emploie aussi la couchure de faisceaux de traits dorés pour l’aigle du trophée et pour les feuilles de laurier. Il serait intéressant de préciser les circonstances de la commande, le prie-Dieu étant en principe réservé au roi. 

 

 

 

Fig. 11 : Grand manteau de l'ordre du Saint-Esprit, 1818-1819, MLHOC, Trophée, vue générale.

Cliché J.-P. Leclercq.

Les paillettes apparaissent sur le grand manteau de chevalier du musée du Costume et de la Mode de la Ville de Paris (Galliéra), où subsiste l’emploi de la lame repliée en zigzag sur un matelassage bombé, mais où les motifs de flammes, à l’exception de ceux qui accompagnent les fleurs de lis, sont exécutés en paillettes comptées dorées, les grandes flammes cousues en relief sur un matelassage rouge, de la laine probablement. On y retrouve les aigles en couchure de faisceaux de traits dorés, mais la cannetille s’efface. Ce manteau est daté entre 1750 et 1777 par Georges Dillemann5, ce qui s’accorde avec la présence des paillettes comptées, procédé apparu vers le milieu du siècle, et avec l’abandon du grand manteau à partir du 1er janvier 1778.

 

Le manteau est composé de six lés de velours coupé uni, noir, larges de 50,5 cm d’une couture à l’autre et donc lisières non comprises, à disposition longitudinale, perpendiculaire à l’ouverture du manteau. Sur le manteau conservé au musée de la Légion d’Honneur, les lés ont une disposition transversale, et sont parallèles à l’ouverture. La doublure est ici en satin de 8 uni de soie crème foncé, en 54 cm de large lisières non comprises. Suivant les lés, les lisières sont vert pâle (l. 1 cm) ou roses (l. 1,2 cm), avec quatre fils de chaîne en filé doré.

 

Les trophées sont constitués d'éléments rapportés en plusieurs couches, et à dominante or (lame, filé, paillettes) et argent (lame), avec des détails par broderie de soie tordue polychrome (verte, bleue, rouge, rose ; noire et blanche pour les hermines), les aigles en couchure de faisceaux de traits dorés. Le bord des boucliers est fait de filé doré maintenu par des points en taffetas, mais avec un effet de relief, par courbure du filé, que l'on évite généralement dans le point couché.

 

Le grand manteau de chevalier conservé au Musée de la Légion d'Honneur fait partie d'une série de manteaux datant de la fin 1818 ou de début 1819, exécutés par la maison Dallemagne en prévision du sacre de Louis XVIII, comme le montrent les archives du musée (voir l'article de Mmes Weisinger et de Chefdebien). Un manteau identique est exposé au Musée de l'Armée. Le Louvre en possède aussi dans ses réserves. La hâte avec laquelle le manteau semble avoir été fait pourrait concorder avec la préparation hâtive du sacre, finalement annulé. La provenance de ces manteaux lors de leur entrée au musée des Souverains (décret du 15 février 1852) pourrait peut-être permettre de trancher.

 

Le programme iconographique des manteaux du XIXe siècle reste presque inchangé, mais les techniques de broderie se mettent au goût du jour. L'examen de ces techniques a été fait sur le grand manteau du musée de la Légion d'honneur.

 

Le grand manteau du musée de la Légion d'honneur

Fig. 12 : Grand manteau, motif de flammes du 1er rang, détail.

Cliché J.-P. Leclerq.

 

 

 

 

 

 

 

Fig. 13 : Grand manteau, trophée, détail : superposition du velours du manteau et du velours du fond de la broderie, et techniques pour les pointes de lance.

Cliché J.-P. Leclerq.

 

 

 Ce sont les motifs de flammes bicolores, rouges et or, qui frappent au premier abord, motifs rapportés sur le manteau (fig.12), brodés directement sur le mantelet (fig.18), où apparaît une entorse à la règle : la "toile d'argent verte" est devenue un simple taffetas, sans trame métallique. La teinte actuelle, vert pâle, est due au vieillissement de l'étoffe, dont le ton, conservé dans des plis ou à l'emplacement d'une couronne disparue, était beaucoup plus soutenu. Les paillettes vernies, rouges, mais vertes aussi pour les feuilles de laurier, ont gardé leur éclat, mais la restauration n'a pu rendre leur vivacité aux broderies métalliques telle qu'elle apparaît en haut de l'ouverture du manteau, là où le mantelet les protégeait de toute altération. Un regard sur les trophées (fig. 11, 13, 14, 15) fait apparaître l'autre nouveauté majeure par rapport aux manteaux de l'Ancien Régime : l'emploi d'éléments métalliques estampés.

 

 

Dès le XVIIIe siècle, Charles Germain de Saint-Aubin6 signalait, outre l'innovation récente qu'était l'emploi de paillettes de couleur, l'utilisation d'une lame d'argent découpée en forme à l'emporte-pièce pour obtenir des paillons de figures diverses, fleur ou cœur notamment, et non plus seulement des paillettes rondes.

Des perforations marginales ou dessinant des nervures permettaient d'en sertir le contour ou d'apporter des détails en fine cannetille ou « bouillon ». C'est le procédé employé pour les fleurs des guirlandes au bas des H (fig. 17) ainsi que pour les pointes de lance et les hallebardes (fig. 13).

Les cuirasses et les casques relèvent d'un autre procédé, repris de l'orfèvrerie : l'estampage, qui était très fréquent à l'époque de la Renaissance pour le décor des croix de procession à âme en bois.

 

Le motif est préparé en creux dans une matrice, où il suffit ensuite de forcer le métal à prendre le relief voulu pour obtenir rapidement des séries de motifs identiques. Les casques des trophées du bas du manteau de part et d'autre de l'ouverture sont réalisés de la même façon, mais dans une plaque de métal amatie au préalable, probablement par passage sous un cylindre gravé (fig. 20). On obtient ainsi rapidement des formes nettes, intéressantes par leur surface large, leur brillant ou leur aspect mat, ce qui accroît la diversité de la broderie métallique.

 

Poussé à l'extrême, le procédé tue la broderie, comme le montre l'exemple de la broderie aux armes de Louis-Henri Joseph de Bourbon citée plus haut.

 

 

 

 

 

Fig. 14 : Grand manteau, trophée, détail : drapeau gauche, avec les armes royales. Application de taffetas bleu, puis de drap d'argent sur matelassage.

Le drap d'argent est ici en fait un sergé à chaîne métallique (filé argent), et trame grossière en coton de coloris écru, suivant le principe d'économie de matière usuel au XIXe sièclesur ce qui n'apparaît que de très près.

Cliché J.-P. Leclerq.

 

 

 

 

 

 

 

Fig. 15 : Grand manteau, trophée, détail : casque et cuirasse, en métal doré estampé.

Cliché J.-P. Leclerq.

 

Les motifs de flammes du manteau ont été brodés à part, sur des rubans à lisières faites d'un fil métallique, puis rapportés sur le fond d'une manière surprenante (fig. 12). Le dessin d'abord est inconstant, signe d'un travail rapide ou partagé entre plusieurs mains, et les marges varient, le ruban débordant souvent très largement de part et d'autre du motif, ce qui a pu difficilement être recherché. Très répandu au XIXe siècle dans l'ornement liturgique, l'emploi des motifs rapportés fait usuellement l'objet de plus de soin : le support est découpé ou replié sous le motif, qui est ensuite cerné d'un cordonnet qui masque le montage. Ici le cordonnet fait partie du motif rapporté et ne joue plus ce rôle.

 

Les trophées du manteau, fabriqués par assemblage de nombreux éléments, ont été brodés à part sur du velours noir, cousu ensuite sur le fond après une découpe approximative. C'est un point de broderie ton sur ton qui cerne le trophée, masquant le procédé, mais la découpe est variable et généralement incomplète, d'où des incertitudes, au bas des trophées, dans le tracé du cerne brodé (fig. 13).

 

Fig. 16 : Grand manteau, H couronné, détail : couronne. Pierreries figurées en métal verni, vert ou rouge, et recouvert de quelques points de soie suivant un principe voisin de celui de l'or nué, mais ici d'exécution sommaire.

Cliché J.-P. Leclerq.

 

Les couronnes aussi sont rapportées. L'une de celles du mantelet était détachée avant la restauration du manteau. Elle avait été brodée à part, à plat, puis collée sur du papier. Le relief ensuite avait été donné par fixation, au-dessous, d'une bande de drap de laine bleu marine repliée plusieurs fois. Le tout était enfin fixé sur le taffetas vert qui forme le fond du manteau.

 

Comme sur le manteau, les couronnes du mantelet sont ornées de pierres rouges ou vertes, faites d'une lame de métal vernie, des nuances étant apportées par des points de soies dégradées, suivant grossièrement le principe de la broderie en or nué qui représentait l'un des sommets de la broderie aux XVIe et XVIIe siècles.

 

Ce procédé, décrit dès 1770 par Charles Germain de Saint-Aubin, se retrouve encore sur la broderie aux armes de Louis-Henri Joseph de Bourbon, pour les pierres de la couronne, en haut de l'ornement. Les drapeaux du collier de l'ordre du Saint-Esprit y sont en papier verni, dont ce n'est pas un usage exceptionnel.

 

D'après l'étude de Georges Dillemann7, les trophées n'empruntent que partiellement à la réalité des emblèmes militaires. Pour autant, ils représentent indéniablement le meilleur du travail de broderie sur ce manteau. Un étendard brodé au chiffre de Louis XVIII (L croisés) figure sur le trophée à l'extrémité de la traîne, alors que selon M. Dillemann « il n'y a pas d'étendard au chiffre du roi ni sous l'Ancien régime, ni à la Restauration ». Les L croisés et le soleil de l'étendard symétrique visaient probablement à rattacher les temps difficiles de la monarchie à son passé glorieux, mais les temps avaient changé et la restauration plus colorée de l'apparence fut impuissante sur la réalité.

 

Fig. 17 : Grand manteau, H couronné, détail : guirlande de fleurs. Fleurs en métal argenté découpé en forme à l'emporte-pièce, et serti de cannetille argent. Feuilles de laurier en paillettes vernies vertes. Ces deux techniques existaient déjà à la fin du XVIIIe siècle.

Cliché J.-P. Leclerq.

Notes de bas de pages

 

 

1 - H. VANINER, « les costumes de l’ordre du Saint-Esprit », Bulletin du musée       Carnavalet, 1972, n° 1, p. 2-12.

 

2 - G. DILLEMANN, « Souvenirs de l’ordre du Saint-Esprit au musée de   l’Armée », Revue de la société des amis du musée de l’Armée, 1984, n° 89,   p.59-  73.

 

3 - D. ALOCOUFFE, « L’ordre du Saint-Esprit : la chapelle », Revue du Louvre,   1994, n° 1, p.29-42.

 

4 - D. ALCOUFFE, op. cit. p. 36-37. 

 

5 - G.DILLEMANN, op. cit. p. 69. 

 

6 - Charles-Germain de SAINT-AUBIN, L’Art du brodeur, 1770, pl. 5. 

 

7 - G. DILLEMANN, op. cit., annexe 1, P. 72. 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Fig. 18 : Mantelet, motif de flammes du second rang. Broderie directe sur le fond taffetas, paillettes dorées ou rouges.

Cliché J.-P. Leclerq.

Fig. 19 : Détail du mantelet avant restauration :

usures et manques dans le taffetas, couronne décousue.

Les couronnes étaient brodées à part, à plat, puis collées sur une feuille de papier et matelassées par ajout d'une bande de drap de laine bleu marine repliée, et enfin cousues sur le fond taffetas du mantelet.

Cliché A. Lorgnier

 

 

 

 

 

Fig. 20 : Broderie aux armes de Louis-Henri Joseph de Bourbon, prince de Condé, 1756-1830, époque Restauration, MLHOC.

Détail du collier de l'ordre du Saint-Esprit, trophée. Broderie d'application : casque en métal doré, estampé, drapeaux en papier verni rouge ou gris bleu. Techniques très voisines de celles qui ont été utilisées pour les éléments métalliques du grand manteau de l'ordre du Saint-Esprit de même époque conservé au musée de la Légion d'honneur : pierreries de la couronne, éléments en métal estampé, amati ou non.

Cliché : J.-P. Leclerq.