L'ordre polonais des "Virtuti Militari"

 

 

Isabelle du PASQUIER

Conservateur du Musée

 

 

La récente entrée, grâce à notre société, d'un superbe insigne de l'ordre : polonais des Virtuti Militari dans les collections du musée (voir illustration)  nous donne l'occasion de rappeler l'histoire de l'éminente distinction dont le bicentenaire a été célébré l'an dernier.

 

Son histoire est intimement liée aux événements tragiques qui ont jalonné la vie de la Pologne. C'est à la suite d'une victoire remportée sur l'armée russe, à Zielence, le 18 juin 1792, que le roi Stanislas-Auguste Poniatowski décida d'instaurer une décoration militaire pour récompenser les actes de bravoure sur le champ de bataille.

Le tout premier insigne consista en une médaille d'or ou d'argent, de forme ovale  -  sur l'avers  figuraient  les  initiales  SAR  (Stanislas  Augustus  Rex)  surmontées d'une couronne, et deux palmes croisées en dessous du monogramme; au revers,  I' inscription "VIRTUTI MILITARI" au dessous des deux palmes croisées. Le ruban était celui de l'ordre de Saint Stanislas (rouge, liseré de blanc, rouge et blanc).

 

Les événements qui se déroulèrent en Pologne en Juillet 1792 ne permirent pas au roi de donner une existence légale à son Ordre. C'est seulement au mois d'août, suppose-t-on, que furent établis des statuts et créée une chancellerie à l'instigation du Prince Joseph Poniatowski, neveu de Stanislas. On y rappelait l'idée qui avait présidé à sa création : le nouvel ordre militaire ne devait récompenser que des actions d'éclat sur les champs dl' bataille. La décoration devenait une croix en or, émaillée noire à l'avers, et le ruban bleu, liseré de noir et de bleu. Il y avait cinq classes. L'ordre militaire devait subir encore bien des déboires,  tant de la part de certains polonais,  que surtout de la Russie;  en effet, en  janvier 1794 l'impératrice Catherine II le fit supprimer.

 

Il fallut attendre la création du duché de Varsovie (juillet 1807) pour que revive l'institution de Stanislas sous le nom "d'Ordre militaire du duché de Varsovie". Mais le décret signé le 26 décembre 1807 par le roi de Saxe - duc de Varsovie, Frédéric-Auguste, modifiait l'esprit même de la décoration en la décernant automatiquement aux officiers supérieurs, et par ancienneté de service aux autres militaires. Pour ces raisons la première promotion de janvier 1808 souleva beaucoup de protestations. La seconde promotion eut lieu après la campagne d'Autriche de 1809; la troisième, en septembre 1812, récompensait les militaires qui s'étaient distingués par "leur bravoure, héroïsme et un courage particulier" dans la bataille de Smolensk (16 et 17 août 1812). Priorité était réservée aux décorés de la Légion d'honneur pendant cette campagne.

 

Le Prince Joseph Poniatowski avait instauré un véritable cérémonial de remise des décorations devant 1'armée.

 

En 1815 était créé le royaume de Pologne et le Virtuti Militari devenait !'Ordre militaire Polonais. Après l'échec de l'insurrection de 1831, l’Ordre des Virtuti Militari cessa d'exister.

 

Il fut restauré le 1er août 1919, après que la Pologne a eu recouvré son indépendance, et reçut le nom "d'ordre militaire des Virtuti Militari" tout en reprenant ses caractéristiques d'attribution de l'époque du duché de Varsovie.

 

Une loi du 26 mars 1933 modifia quelque peu l'Ordre, dont le nom fut transformé en "Ordre guerrier des  Virtuti Militari".

 

Pendant la seconde Guerre mondiale le gouvernement polonais en exil en France et en Grande Bretagne continua à le conférer.

 

La République populaire de Pologne le conserva également, tout en changeant le mode d'attribution. Bien entendu la suite des évènements qui agitèrent la Pologne a eu pour conséquence des modifications successives de l'insigne, dont nous donnons ci-après les principales caractéristiques.

 

XVIIIe siècle.

 

Croix, en or, pattée aux extrémités légèrement incurvées et aux pointes démunies de boules. Dimensions : 42 x 42 millimètres.

 

Avers émaillé de noir avec l'inscription VIRTUTI MILITARI; centre en or, cerclé d'une couronne de laurier émaillée de vert ceignant une aigle couronnée émaillée de blanc tenant dans ses serres le globe et le   sceptre.

 

Revers en or, les initiales" S. A. R. P." (Stanislas Augustus Rex Poloniae) gravées et émaillées de noir ; centre en or au cavalier émaillé de bleu des armoiries de la dynastie des Jagellons surmontant la date "1792" gravée.

 

Grand-duché de Varsovie   (1805-1815)

 

En 1808, sous la pression du tsar Alexandre 1er, les armes des Jagellons disparaissent du revers et sont remplacées par l'inscription " REX ET PATRIA". Il convient de noter que beaucoup d'officiers continueront, en signe de protestation et de résistance, à porter 1' ancien modèle.

L'insigne de commandeur est surmonté d'une couronne d'or, comme celui de grand-croix qu'accompagne une plaque aux rayons d'argent sur laquelle est fixée la croix de l' ordre émaillée de noir.

Dès 1812, des boules garnissent les pointes de la croix dont la dimension varie entre 41 et 30 millimètres selon les grades.

 

 

Royaume de Pologne  (1815-1831)

 

L'insigne reste pratiquement le même que précédemment, avec l'inscription "REX ET PATRIA"  au  revers.

Insurrection (1830-1831)

 

Le cavalier des Jagellons reparaît, rappelant l'époque glorieuse de l'indépendance du  pays.

 

Ordre militaire des Virtuti Militari (1919)

 

Au revers les initiales " S. A. R. P. " disparaissent. Le centre porte l'inscription "HONOR  I  OJCZYZNA" (Honneur et  Patrie)  soutenue de la  date "1792".

 

Ordre guerrier des Virtuti Militari (I 933)

 

La loi du 25 mars 1933 dispose que pour les trois premières classes le  revers,  à  l'exception du centre, est émaillé de noir comme l'avers.

 

 

République populaire de Pologne

 

L'aigle blanche des armoiries de la Pologne est dépouillée des attributs de la souveraineté, couronne, globe et sceptre. Au-dessus des insignes des commandeurs et des grands-croix la couronne est remplacée par un médaillon doré aux initiales  "B. P" (Budowniczych Polski) de la République populaire, ceint d'une couronne de  laurier.

 

La décoration présentée ici, au diamètre de 39 millimètres qui semble rait indiquer la deuxième classe, est, avec les armoiries Jagellon, du premier modèle de 1 7 9 2 bien qu'elle ait été attribuée en 1810, ce qui marque la protestation de son titulaire contre l’injonction du tsar Alexandre 1er. Cet insigne est en effet que celui  porta le comte Lubienski.

 

Thomas Lubienski est né en 1784 d une vieille famille polonaise. Dès l'âge de six ans il est admis au régiment de cavalerie polonaise et reçoit le titre d'enseigne en 1792.

En 1806, après l'entrée des Français à Varsovie, Lubienski s'engage dans la Garde d'honneur de !' Empereur dont il est nommé commandant en second. Le 7 avril 1807 il est chef d'escadron aux chevau-légers  de la Garde impériale, devenu le 1er régiment polonais.

Il sert à la Grande Armée en Pologne ; est fait officier de la Légion d'honneur le 22 Juillet 1807. Il prend part à la campagne  d'Espagne.

 

Durant  la campagne d'Allemagne il se distingue à Essling , ainsi qu'à Wagram où il assure la protection de !'Empereur. Il conduit la charge de son escadron à un moment critique de cette bataille et contribue à la victoire finale. Pour ces faits d'armes il reçoit le titre de baron d'Empire, ainsi qu'une dotation de 6 000 francs de rente.

 

Le 5 avril 1810, étant en congé à Varsovie il est nommé chevalier de l'ordre des Virtuti Militari. Il devient colonel du 2e régiment de lanciers de la Vistule. Il est en Russie, en 1812, à la tête de son régiment, dans le corps d'armée d'O udinot et couvre le passage de la Bérésina par la Grande Armée. Il sert en Saxe et est promu généra l de brig ude le 15 mars 1814.

 

Fidèle à l'Empereur, il démissionne du service de France après la première abdication.

 

De retour en Pologne, il est décoré de l'Ordre de Saint Stanislas (voir bulletin n° 3, page 11).

 

Pendant l'insurrection de 1830, il est nommé vice-président de Varsovie, puis ministre de l'Intérieur, enfin, commandant en chef de l'armée polonaise. Après l'échec de 1'insurrection, il est déporté en Russie pendant trois ans.

 

Il se consacre ensuite à la construction de la ligne de chemin de fer Varsovie-Vienne, puis se retire des affaires en l841. Il meurt à Varsovie le 27 août 1870.

 

Napoléon III l'avait promu commandeur de la Légion d'honneur le 13 octobre 1858.

 

 

 

 

Bibliographie Sommaire

Zdzislaw P. Wesolowski, Order Virtuti Militari i Jego Kawalerowie 1792- 1992 , The Order of the Virtuti Militari and its Cavaliers, 1792- 1992  ( édition bilingue polonais -anglais), Varsovie/ Miami, 1992.