Le centenaire de la Médaille coloniale
Ch. Ph. de Vergennes
L'article 75 de la loi de finances du 26 juillet 1893 institue « une médaille coloniale' unique, destinée à récompenser les services militaires dans les colonies, résultant de la participation à des opérations de guerre dans une colonie ou dans un pays de protectorat » et dispose que les actions ou campagnes de guerre donnant droit à cette distinction seront déterminées, aussi bien pour les expéditions antérieures que pour celles qui auraient lieu à l' avenir, par un décret du Président de la République.
Le décret du 6 mars 1894 détermine une première nomenclature, par territoires et par ordre de dates, des opérations et faits de guerre donnant droit à la médaille coloniale (art. 1), et l'aspect de celle-ci (art. 4) :
« La médaille coloniale est en argent et du module de 30 millimètres. Elle porte, d’un côté, l'effigie de la République avec les mots : « République française », de l'autre côté, en légende : « Médaille coloniale » et, au milieu, un globe terrestre entouré d'attributs militaires. Cette médaille sera suspendue par un ruban à raies blanches et bleues (.. .) »
en spécifiant que le titulaire de la médaille recevrait autant d'agrafes qu'il aura accompli de campagnes da ns des possessions différentes.
L'attribution de la médaille fut étendue par l’article 77 de la loi de finances du 13 avril 1898 aux fonctionnaires civils qui auront pris part à des opérations de guerre aux colonies ainsi que, sur proposition des gouverneurs et des chefs de missions, aux militaires et aux civils ayant participé à des missions coloniales périlleuses et s’y étant distingués par leur courage.
Enfin une loi du 27 mars 1914 décidait que la médaille coloniale sans agrafe pouvait être attribuée aux militaires ayant séjourné pendant un temps déterminé dans certains territoires.
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La médaille coloniale, due au graveur Georges Lemaire, porte :
à l’avers : une effigie de profil, à gauche, de la République coiffée d’un casque lauré et cuirassée à l'antique ; sur le pourtour, à gauche et à droite, figure la légende REPUBLIQUE/FRANCAISE ;
au revers : au centre, une ancre " coloniale" chargée d’une mappemonde posée sur deux canons mis en sautoir, le tout chargeant un trophée de drapeaux et d'attributs militaires ; sur le pourtour, dans le demi-cercle inférieur, figure l'inscription MEDAILLE/COLONIALE.
A la partie supérieure de la tranche, est soudée une pièce de suspension constituée par deux petits troncs de cône opposés par leur grande base.
La médaille est suspendue au ruban par l’intermédiaire d’une bélière1 en forme de boucle ovale dont la partie infé1ieure est constituée par deux rameaux de laurier fruité.
L'extrémité inférieure de ces rameaux est recourbée, formant une sorte d'étrier mobile dans la pièce de suspension décrite ci-dessus.
Le ruban, de 36 mm de largeur, est bleu clair, coupé verticalement par une bande centrale blanche (largeur 7 mm) et par deux raies blanches latérales (largeur 2 mm) placée à 1 mm de chaque bord.
Par contre, aucun texte n'a fixé la forme de l'agrafe qui peut-être classée suivant quatre modèles :
- un modèle rectangulaire en argent formé par un rectangle de 40 mm de longueur sur 10 mm de largeur, bordé par un cadre et un filet en relief portant également frappé en relief le nom de la colonie ou pays de protectorat à l' exclusion de la date, contrairement à ce qui fut décidé lors de la création, muni au revers d'une pince à rabattement pour les plus anciennes et d' une barrette de serrage pour les autres ;
- un modèle spécial constitué par un cadre de style oriental de 41 mm de longueur, posé sur un motif fait de feuilles de roseau, muni au revers d'une pince à rabattement : il correspond aux agrafes De l'Atlantique à la Mer Rouge (or ou argent) et Centre Africain (or ou argent) ;
- un autre modèle spécial constitué par un cadre de 48 mm de longueur, bordé par des festons perlés à leurs extrémités et surmonté d'un soleil rayonnant, muni au revers d'une pince à rabattement pour l'agrafe Mission saharienne (or) et d'une barrette de serrage pour l'agrafe Gabon-Congo (or) ;
- un modèle oriental formé par un rectangle en argent, terminé à ses extrémités par un motif en ogive de style oriental, entouré par une bordure de même style, muni au revers d'une barrette de serrage ; il est en fait la réplique des agrafes de la médaille du Maroc instituée par la loi du 22 juillet 1909.
Le modèle rectangulaire a été le plus couramment employé. Aux neufs agrafes créées en 1894 avec effet rétroactifs : Algérie, Cochinchine, Côte d'Or, Iles Marquises, Iles de La Société, Nossi-Bé , Nouvelle Calédonie, Sénégal et Soudan, Tunisie, viennent s'ajouter vingt-et-une autres qui ensemble représentent tous les territoires sur lesquels s'est déployé le drapeau de la France : Adrar, Afrique, Afrique Equatoriale Française, Afrique Occidentale Française, Asie, Comores, Congo, Côte d'Ivoire, Côte des Somalis, Dahomey, Guinée Française, Guyane, Haut-Mékong, Indochine, Laos et Mékong, Madagascar, Maroc, Mauritanie, Sahara, Tchad, Tonkin.
Le modèle oriental a été utilisé à deux reprises : une première fois, à l'occasion des campagnes de pacification du Maroc (Maroc 1925 et Maroc 1925-1926)2 et une seconde fois, entre 1940 et 1946, période qui vit la création de dix agrafes : Afrique Française libre, Bir-Hakeim, Erythrée, Ethiopie, Fezzan, Koufra, Libye, Tripolitaine, Tunisie 1942-1943 ainsi que Côte des Somalis 1940-19413, auxquelles il convient d'ajouter quatre agrafes du modèle rectangulaire : Bir-Hakeim 1942, Extrême-Orient, Fezzan-Tripolitaine, Somalie.
En résumé, ce sont donc cinquante agrafes qui ont été créées, en un peu plus d’un demi-siècle.
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Mais l'histoire de la médaille coloniale ne s’arrête pas là. Et le rédacteur de la notice qui lui est consacrée dans le remarquable catalogue de l'exposition qui s'est tenue en 1956 au Musée Monétaire, a su faire preuve d’une étonnante clairvoyance lorsqu’il écrivait ces lignes :
« Quel que soit l’avenir que la politique et la diplomatie, que 1'évolution mondiale surtout réserveront à ces régions que l'on a appelé jusqu’ici colonies, la Médaille coloniale et ses sœurs demeureront le symbole des vertus militaires."
En effet, si par décret du 6 juin 1962, l’appellation " médaille d'outre-mer" est substituée à celle de médaille coloniale, l’insigne à cette seule modification près est conservé. L'article 3 précisait que le ministre des armées définirait par arrêté les territoires et les zones ouvrant droit à 1'attribut ion de la médaille d'outre-mer "sans agrafe"4.
Dix-sept ans plus tard, quatre nouvelles agrafes étaient créées : Tchad, Liban, Zaïre, Mauritanie, suivies de l'agrafe Ormuz en 1987, Moyen-Orient en 1991, Cambodge et Somalie en 1993.
Elles témoignent toutes aujourd’hui, comme il y a un siècle, de la vocation de la France à être présente dan le monde et à répondre au défi de la modernité par la formulation de concepts et par des actes que celui-ci continue d’attendre d’elle.
NOTES
- Il apparaît qu’à l’origine cette bélière n’existait pas et l’on peut s’appuyer pour l’affirmer sur les
documents suivants :
- Le décret du 6 mars 1894, pour l'application de l'art. 75 de la loi de finances du 26 juillet 1893, créant la médaille, ne fait pas état de cet ornement ;
- le Manuel des décorations françaises publié par le Lt. A. CAYET en 1896, donc peu de temps après la création de la médaille, donne le dessin de celle-ci sans bélière.
- des portraits ou photos de militaires décorés de la médaille coloniale au début de son existence existence la représentent aussi sans bélière (voir l'article du lieutenant-colonel Paul Rullier cité infra.
- Ces agrafes sont en vermeil.
- Agrafe instituée par décret de l’Etat Français du 26 décembre 1941, abrogé à la Libération
- - Par arrêté du Ministre des Armées du 11 septembre 1963, ouvraient droit à la médaille d'outre-mer les séjours accomplis par les militaires et assimilés dans les département ou territoires ci-après : Guyane, Côte française des Somalis, Archipel des Comores, Terres australes et antarctiques françaises, Territoires et Etats africains et malgache où la France entretient, soit des forces françaises, soit des missions militaires de coopération technique.
Bibliographie Sommaire
- "Décorations", Bulletin officiel des armées·, édition méthodique, n° 307, Paris, Imprimerie Nationale, 1970.
- Commandant Sculfort, " La médaille coloniale et ses agrafes", La Giberne, n°7, janvier 1926.
- Ordres de chevalerie et récompenses nationales, catalogue d'exposition, Paris, Musée monétaire, Administration des Monnaies et Médailles, 2 mars-30 mai 1956 .
- Lieutenant-colonel Rullier, "La Médaille coloniale", Symboles et Traditions,n° 38 et 39, 1968.
- Commissaire général Stiot, " La Médaille coloniale et ses agrafes", Symboles et Traditions, n° 70, avril-mai juin 1974, pp. 25-36.
- "De la médaille coloniale à la médaille d'outre-mer", Képi blanc, juillet 1993