Portrait du duc Léopold Ier, de Lorraine en costume de l'ordre de la Toison d'or

Anne de Chefdebien, conservateur-adjoint

 

 

La générosité de la section suisse de la Société d'entraide des membres de la Légion d'honneur a permis au musée d'acquérir récemment le portrait de Léopold Ier de Lorraine en costume de la Toison d'Or, acquisition qui constitue un notable enrichissement des collections.

Ce tableau illustre avec précision et fidélité l'ornat rouge des chevaliers de la Toison d'Or, l'un des plus prestigieux ordre de chevalerie de l'histoire européenne. Il fut fondé par Philippe le Bon, duc de Bourgogne, à l'occasion de son mariage avec Isabelle du Portugal, à Bruges, le 10 janvier 1430. Au fil de son histoire, sa souveraineté passa aux Habsbourg par le mariage de Marie de Bourgogne avec Maximilien d'Autriche, puis après Charles-Quint, aux Habsbourg d'Espagne qui la détiendront jusqu'à la mort de Charles Il. A la paix d'Utrecht, en 1713, la couronne d'Espagne est donnée à Philippe V de Bourbon et, depuis lors, deux ordres de la Toison d'Or coexistent, l'un autrichien, l'autre espagnol (1).

La symbolique de l'ordre est liée étroitement à son origine bourguignonne pierre à feu et briquet appartiennent en effet à l'héraldique du duché, de même sa dévotion à saint André. Le choix de la Toison d'or, par contre, a donné lieu à de nombreuses interprétations, certaines romanesques. Il est probable que la référence à Jason et aux Argonautes doit être comprise comme une allusion aux exploits de la chevalerie dans son sens le plus mythique. Très vite les érudits se sont employés a rattacher l'emblème mythologique à l'iconographie chrétienne, recensant toutes les toisons bibliques en particulier celle de Gédéon (Juges VI, 37-38).

Liés par un serment de fidélité à leur souverain, les chevaliers se réunissaient pour de fastueux chapitres au cours desquels ils arboraient trois habits différents : "le premier jour d'écarlate pour leur donner à connaître que le ciel ne s'acquiert que par l'effusion de sang et martyre pour maintenir la foi catholique, le deuxième de noir représentant le deuil des trépassés, et le troisième l'habit de damas blanc en signe de pureté de l'âme que tout chevalier doit avoir en toutes les actions de sa vie et ses déportements." (A. Favyn, Théâtre de l'honneur, 1620, Il 951). L'habit blanc était porté pour l'office de la Vierge qui clôturait le chapitre.

L'ornat rouge était composé d'un manteau de velours écarlate, doublé de soie blanche et ornée d'une large bordure brodée d'or où figuraient les symboles de l'ordre et la devise " Je l'ay emprins " (2), d'une robe d'un rouge plus clair et d'un chaperon à longue crête. La couleur de la robe et la forme du chaperon ont quelque peu varié mais le modèle du manteau, fixé sous Charles le Témeraire, a perduré jusqu'en 1852 quand François-Joseph abolit les costumes de tous les ordres et simplifia l'investiture des chevaliers en une simple promulgation écrite.

Ces ornements ne furent pas portés rigoureusement tout au long de l'histoire de l'ordre. Les chapitres, d'abord annuels, furent ensuite laissés à l'initiative du souverain et cessèrent même à partir de 1559, sous le règne de Philippe II. Les cérémonies furent alors exclusivement concernées par les investitures et les chevaliers portèrent simplement leur collier sur l'habit de cour.

La réhabilitation du costume de l'ordre au début du XVIIIe siècle correspondait à une volonté de la branche autrichienne de la Toison d'Or, soucieuse de légitimité. A la mort de Charles II, l'archiduc Charles III (futur empereur Charles VI) emporta à Vienne les archives et le trésor de la Toison d'Or et célèbra en 1713 la fête de la rénovation de l'ordre, se déclarant seul souverain légitime, à l'encontre de Philippe V. Dans cette optique il révisa les statuts de l'ordre se basant sur la réforme de Charles Quint en 1516. C'est alors que se généralisa l'usage de portraiturer l'empereur en ornat (cf. Charles VI par Auerbach, Vienne, Kunsthistorisches Museum). Jusqu'alors, à rares exceptions près, les portraits des souverains en costume, de petit format, figuraient dans les livres des statuts et armoriaux.

Cette mode s'étendit aux chevaliers et il faut citer comme un exemple particulièrement brillant le portrait du prince Joseph Wenzel de Liechtenstein des galeries de Vaduz, peint par Rigaud en 1740.

Le portrait du musée de la Légion d'honneur s'apparente étroitement en typologie aux portraits officiels autrichiens ; la mise en page solennelle, certains détails précis comme la console, évoquent irrésistiblement les portraits en grisailles de Charles VI et de l'impératrice Elisabeth-Christine exécutés par van Schuppen en
1730 et destinés à être gravés.

Il nous paraît préférable de dater la toile de la période viennoise. L'étrangeté du visage, assez figé, s'explique alors plus aisément puisqu'il aurait été peint d'après gravure. Les liens étroits entre la cour de Lorraine et Vienne - les deux souverains étaient cousins, amis d'enfance et Charles VI destinait sa fille, héritière de sa couronne, au fils de Léopold - rendent plausible la commande d'un portrait rétrospectif du duc destiné aux galeries impériales.

En tout état de cause l'image de Léopold revêtant, à la mode autrichienne, l'ornat de l'ordre de la Toison d'Or prend une importance politique particulière. Le duc pose en effet la main sur les insignes de son pouvoir : couronne, sceptre et main de justice. Or le règne de Léopold s'ouvre dans une période troublée de l'histoire de la Lorraine, tiraillée entre la France qui l'occupe depuis des années et l'Autriche où le père du duc, Charles V, vit en exil, exerçant brillamment les fonctions de généralissime de l'empereur, son beau-frère. C'est à Innsbruck que l'enfant est élevé. Il succède à son père en 1690 et est nommé à cette date chevalier de la Toison d'Or mais ce n'est qu'après le décès de sa mère, en 1697, qu'il prend en main les affaires de Lorraine auxquelles la ratification du traité de Ryswick, le 13 décembre, donne une nouvelle importance. En épousant en 1698 Elisabeth-Charlotte d'Orléans, nièce de Louis XIV, Léopold renouvelle les liens avec la France et son beau-frère, devenu Régent, lui accordera la délimitation des frontières entre la France et l'Empire toujours ajournée par Louis XIV.

Léopold peut désormais rentrer dans ses duchés qu'il va s'attacher à réorganiser tant au point de vue économique qu'artistique et intellectuel.

Il réside peu à Nancy, où il entreprend toutefois la reconstruction du palais ducal mais s'installe à Lunéville. Là, il regroupe une véritable cour, attire des artistes, instaure une académie, donnant à l'éphémère retour de la famille ducale un lustre tout particulier, encore avivé par les projets formés pour le mariage de son fils François avec l'archiduchesse Marie-Thérèse promise au trône de son père.

Le mariage a lieu en 1736, à la veille du traité séparant définitivement la Maison de Lorraine de ses duchés, attribués provisoirement au roi Stanislas afin d'être réunis à la France. François reçoit en compensation le grand duché de Toscane où il règne jusqu'à son accession à la dignité impériale, en 1745, à la mort de son beau-père.

Léopold n'assistera pas à la consécration de ses espoirs mais aussi à une de leurs conséquences : la dissociation des droits et du titre de Lorraine : il meurt dès 1729. Les cérémonies de son enterrement donnent lieu à la dernière des pompes funèbres de la Maison de Lorraine, jetant un ultime et vif éclat sur la personnalité du duc dont Voltaire prononce l'éloge dans le siècle de Louis XIV: " Il est à souhaiter que la dernière postérité apprenne qu'un des plus petits souverains de l'Europe a été celui qui a fait le plus de bien à son peuple... Aussi a-t-il goûté le bonheur d'être aimé et j'ai vu, longtemps après sa mort, ses sujets verser des larmes en prononçant son nom. Il a laissé son exemple à suivre aux plus grands rois, il n'a pas peu servi à préparer à son fils le chemin au trône de l'empire. "

(1) La Toison d'Or espagnole est devenue au XIX, siècle une décoration d'État.
(2) Les officiers de l'ordre revêtent un ornat sans bordure.