Le brassard de Bordeaux et la décoration du brassard de Bordeaux 12 mars 1814

Bernard Sevestre

 

 

Le musée de la Légion d'honneur et des ordres de la chevalerie a récemment acquis un brassard de Bordeaux. La rareté d'une telle pièce et les intéressantes considérations historiques qui lui sont propres peuvent donner matière à une notice dans notre bulletin.


Trois ouvrages parmi d'autres ont étudié celui-ci :
• Albert Mengeot : Le Brassard de Bordeaux - 12 mars 1814 - notes et documents -, Imprimerie Jules Biere - Bordeaux 1912 ;
• Colonel Paul Rullier : La décoration du Lys - chapitre IV, Association Symboles et Traditions - Paris 1983-1985 (cahiers réunis en un seul volume en 1988) ;
• André Souyris-Rolland, chapitre 4 de l'Histoire des distinctions et des récompenses nationales - Preal, Arcueil, tome 1, 1986.

Seront examinés ici successivement les faits survenus à Bordeaux et en Guyenne à la fin de l'Empire, l'institution de la décoration et sa courte carrière, enfin la description des décorations conservées au Musée.

I - Les prolégomènes


Une opposition plus ou moins secrète se décèle dès 1791 à Bordeaux : un certain particularisme s'y est installé à l'égard de Paris dans le passé ; la ruine de nos possessions d'Amérique et l'interruption du commerce d'exportation ajoutent un élément nouveau et durable de mécontentement à cet état d'esprit que l'on
retrouve aussi bien chez les protestants que chez les catholiques de Guyenne et qui rapproche, pour les mêmes raisons, Bordelais et Nantais. L'émigration ainsi qu'une certaine forme de chouannerie et l'opposition dite Girondine existent dans le Sud-Ouest comme ailleurs, même si l'on en parle moins qu'entre Poitou et
Normandie.

Sous le Consulat et l'Empire, cette attitude perdure.

1812 à cet égard marque une étape importante : c'est l'époque où la société secrète catholique et aristocratique des "Chevaliers de la Foi", constituée à la manière d'une sorte d'ordre militaire pour la défense de l'Église et de la royauté légitime en France, entre en relations avec le milieu nobiliaire de Bordeaux.

Le 12 mars 1813, le roi Louis XVIII désigne un ancien officier, Taffart de Saint-Germain, qui vit en cette ville comme son commissaire en Guyenne ; en novembre de la même année, celui-ci va fédérer sous son commandement les organisations clandestines de la région.

En février 1814 alors que Wellington franchit la frontière de France, le commissaire du Roi dispose dans Bordeaux de douze compagnies - onze compagnies d'infanterie et une compagnie de chevau-légers qui forment "la Garde Royale Bordelaise" et prépare l'insurrection avec l'aide de la municipalité déjà acquise au mouvement. Taffart de Saint-Germain peut actionner en outre la Garde Royale du Périgord et du Quercy, à l'effectif de six cent trente officiers et volontaires, recrutée dès le 4 novembre 1812 sous le nom d'Union Royale du Périgord.

Le ler février, le duc d'Angoulême a rejoint le quartier général de Wellington comme représentant du roi. Le 4 mars, il reçoit deux officiers de la Garde Royale de Bordeaux envoyés à lui par le commissaire du roi en Guyenne pour lui proposer la prise de cette ville.

Wellington, informé des pourparlers en cours au congrès de Chatillon, s'interdit toute prise de position politique ou administrative mais sur la foi des renseignements recueillis - un millier d'hommes d'unités disparates assure la défense de Bordeaux -, il détache le corps Beresford pour s'assurer de ce port. Le duc d'Angoulême accompagne cet effort secondaire sans uniforme ni décoration, tandis que le commissaire du roi et la municipalité de Bordeaux prennent leurs dispositions pour faciliter l'opération le 12 mars au matin.

Les unités de la Garde Royale de Bordeaux, en tenue bourgeoise, ont pris les armes et assurent l'ordre sur les principaux carrefours de la ville : comme signe de reconnaissance leurs membres ont noué une écharpe ou un linge de couleur blanche à leur bras gauche, placé une cocarde blanche à leur coiffure.

La tête du dispositif britannique est formée par le régiment des chasseurs britanniques qui comprend une importante proportion d'officiers et de soldats français (les premiers sont des émigrés et les derniers proviennent souvent de déserteurs ou de prisonniers retournés). Cette circonstance facilite encore le ralliement de la population. Le duc d'Angoulême est à son tour reçu dans l'après-midi avec solennité et la municipalité décide d'envoyer aussitôt une délégation au roi Louis XVIII à Hartwell pour lui porter l'hommage de la ville.

On comprend dès lors l'intérêt capital que prit au plan politique ce ralliement inattendu de Bordeaux et de la Gironde (troisième département de France après la Seine et la Seine Inférieure) à la cause des Bourbons.

De surcroît, l'attitude et les proclamations habiles autant que modérées du duc d'Angoulême au cours de ses visites dans le Sud-Ouest et le Midi encouragèrent la confiance de la population puis l'adhésion de la classe politique.

II - Les Gardes Royales et leurs récompenses

Quelles étaient donc les formations dont le zèle avait fait du 12 mars ce que l'on en sait ? Comme il arrive toujours après un dénouement heureux l'on vola au secours de la victoire.

La Garde Royale de Bordeaux avait accepté de grands risques depuis 1812 ou 1813 mais finalement n'avait perdu aucun des siens et n'avait même jamais combattu. Après avoir formé un corps interarme dans la clandestinité, sous le commandement de Taffart de Saint-Germain, elle s'était scindée en deux éléments distincts à partir de l'arrivée du duc d'Angoulême dans la ville :
- La Garde Royale à pied, commandée par le colonel de Clarens, ancien garde de corps du Roi, avec état-major, musique et douze compagnies dont une compagnie d'élite ;
- Les Volontaires Royaux à cheval, aux ordres du chevalier de Gombault, qui regroupent autour de l'ancienne compagnie de chevau-légers du capitaine Roger, tous les volontaires montés et équipés à leurs frais. Ils forment quatre compagnies commandées par les capitaines de Gombault, de La Rochejacquelin, de La Marthonie et Roger. Leur renfort provient du département mais aussi du Périgord et du Quercy.

Il convient de préciser que conformément à la décision qui sera prise en juin 1814, seuls les Gardes à pied et les Volontaires Royaux ayant figuré effectivement le 12 mars sur les contrôles de la Garde Royale pourront obtenir la distinction du Brassard.

En effet, une lettre du comte Étienne de Damas, aide-de-camp du duc d'Angoulême, datée du 5 juin 1814, fait part de la décision royale accordant le lys à ruban blanc à l'ensemble de la formation mais y ajoute un brassard au bras gauche sur lequel il sera inscrit :

BORDEAUX
12 mars
1814

et mentionne in fine :
"Vous voudrez bien transmettre cette honorable décision aux membres qui composaient effectivement la Garde Royale le 12 mars dernier, et déterminer avec son commandant la forme et les dimensions du Brassard".

Cette lettre doit être considérée comme fixant la date de création du Brassard ; cependant ses termes n'en sont pas suffisamment précis comme la suite des événements tend à le prouver. Six semaines plus tard, le 17 juillet, le duc d'Angoulême adresse deux lettres portant création d'un brassard, l'une à Taffart de Saint-Germain, l'autre au chevalier de Gombault, qui déterminent chacune, quoiqu'en termes différents, les critères d'attribution : pour la première, "ceux qui étaient inscrits sur les listes à la dite époque ou qui ont continué à y faire le service avec un zèle qui ne s'est jamais démenti", pour la seconde, "ceux qui m'ont escorté en armes à mon entrée à Bordeaux le dit jour".

Dès le 20 juillet, le chevalier de Gombault crée un brevet qu'il signe en qualité de commandant des Volontaires Royaux. En en-tête figure une gravure en taille douce représentant le modèle de brassard qui, à deux variantes près, sera celui des Volontaires Royaux à cheval (voir infra), et précède le texte de la copie de la lettre du 17 juillet du duc d'Angoulême, "portant institution de la part de Sa Majesté de la Décoration d'un Brassard".

De son côté, Taffart de Saint-Germain établit un autre document (cf. reproduction ci-après), signé en qualité de commandant en chef de la Garde Royale et daté du 30 juillet, sur lequel est reproduit sous une vignette aux armes du royaume, le texte de la lettre précitée du duc d'Angoulême "portant décoration d'un Brassard". A la suite de ce texte, figure une formule portant attribution où il est précisé que "... vous êtes autorisé à porter la fleur de lys à la boutonnière, et un brassard blanc au bras gauche... conforme au modèle présenté au Roi par les députés de la Garde Royale". En effet, entre temps, Taffart de Saint-Germain avait déterminé d'abord que le Brassard aurait la forme d'une écharpe nouée de couleur verte ; plus tard et après en avoir conféré avec son état-major, il arrêta qu'il serait formé d'un ruban de satin blanc bordé d'un liseré vert et terminé par une frange d'argent torsadée ; au milieu d'un écusson de forme spéciale composé de paillettes d'or se détacherait la date mémorable : 12 mars 1814.

Ainsi, il convient de distinguer deux modèles de brassard :
- le brassard de la Garde Royale à pied, constitué d'un ruban de soie blanche moiré, bordé d'un liseré vert et terminé par des franges d'argent aux deux extrémités. Sur le brassard est brodée dans un écusson l'inscription "BORDEAUX/ 12 MARS/ 1814". Il en existe une variante : écusson avec lettres plus grandes, brodées de fil de soie verte et des tombants plus longs terminés par de grosses torsades d'argent ;
- le brassard des Volontaires Royaux à cheval, constitué d'un brassard d'une seule pièce en tissu de soie blanche avec, au centre, sur fond de soleil à rayons de fils d'or, un écusson en or avec deux L dorés sur émail blanc, et une jarretière d'émail vert avec l'inscription "BORDEAUX 12 MARS 1814" en lettres d'or. Ce modèle s'inspire de celui représenté sur la vignette figurant en tête de la lettre précitée et signée Gombault.

D'un point de vue pratique, le brassard du premier modèle était certainement le plus aisé à réaliser rapidement, tandis que celui du second modèle, plus luxueux et plus ouvragé, a dû demander un certain délai.

Quoi qu'il en soit, tout était remis en question le 6 septembre 1814. Ce jour là, Louis XVIII reçoit une députation des Volontaires Royaux de Bordeaux, conduite par le baron de Gombault-Razac, cousin et beau-frère du chevalier, chargée de remettre au roi une lettre signée du corps des Volontaires tout entier. Dans cette adresse, les Volontaires Royaux rappellent in fine, au sujet de la récompense qui leur a été conférée, que "si, dans sa forme actuelle, il [le brassard] appartient à l'appareil militaire, ... vous permettrez que, dans le costume de paix, nous le réunissions au lys, ..." . Le roi agrée cette demande et le 24 septembre 1814, le marquis de Dreux-Brézé, grand maître des cérémonies, adresse une lettre au baron de Gombault-Razac confirmant cette décision et que "Messieurs les Volontaires Royaux qui, dès le 12 mars 1814, ont formé la Garde intime de Mgr le Duc d'Angoulême, sont autorisés à porter la décoration représentant le Brassard conforme au modèle ci-joint, à la boutonnière de leur habit, suspendue à un ruban vert et blanc..." A cette lettre est en effet annexée, en double feuille, un document portant le dessin de la décoration pendante, telle que nous la connaissons. Dans les faits, cette décoration remplacera le brassard proprement dit et sera portée par l'ensemble des titulaires (Garde Royale à pied et Volontaires Royaux) ainsi que le constate l'Instruction du Grand Chancelier de l'Ordre Royal de la Légion d'honneur du 5 mai 1824, prise en exécution de l'ordonnance royale du 16 avril 1824 :

"Mgr le Duc d'Angoulême, à l'occasion de son entrée à Bordeaux, le 12 mars 1814, accorda aux Volontaires Royaux qui l'acccompagnèrent en armes, la médaille dite le Brassard de Bordeaux. Les brevets ont été délivrés, d'après les ordres de Son Altesse Royale, par MM. le Chevalier de Gombault, Colonel, et Taffart de Saint-Germain. Le Roi, par décision postérieure et particulière, a approuvé cette disposition de Son Altesse Royale. La médaille porte d'un côté la légende 12 mars 1814, sur le revers, deux LL entrelacés ; elle est suspendue à un ruban vert liseré de blanc. Cette marque distinctive est maintenue, mais ne se donne plus".

III - Insignes appartenant au musée de la Légion d'honneur

A - Brassard :
Le musée en possède trois exemplaires, deux de la Garde à pied, le troisième, récemment acquis, de la Garde à cheval.

En voici les caractéristiques :

1 - Modèle de la Garde à pied, ruban de soie blanche bordée de soie verte.

  • largeur totale : 10 cm
  • largeur des bandes vertes : 8 mm
  • écusson 7,5 cm de diamètre
  • lettres 7 mm de haut
  • franges en fil argent torsadés : longeur 6 cm
  • (Collection Bucquet)


2 - Autre modèle de la Garde à pied, soie blanche bordée de soie verte.

  • (la couleur est très passée et a viré au gris)
  • largeur totale : 10,5 cm
  • largeur des bandes vertes : 10 mm
  • écusson : 6,8 cm sur 7,5 cm
  • lettres 8 mm de haut
  • franges d'argent très fines
  • (N° d'inventaire : 02758)


3 - Modèle de la Garde à cheval, basin blanc

  • largeur totale : 6 cm
  • soleil en fil d'argent : 6 cm sur 9 cm
  • plaque émaillée diamètre 4,5 cm
  • (N° d'inventaire 08575)


B - Décorations
Description générale : médaillon en or émaillé, de forme ovale, composé d'un soleil aux rayons d'or bruni. Le centre en émail blanc, porte deux "L" en écriture anglaise dorés, affrontés et entrelacés. Il est entouré d'une jarretière émaillée vert, bordée d'or avec l'inscription en lettres d'or "Bordeaux 12 mars 1814". Le médaillon est surmonté d'une couronne royale.

Le musée possède deux exemplaires de cette décoration, mais ils présentent entre eux certaines différences.

1 - Modèle surmonté d'une couronne fixe et encastrée dans la partie supérieure du soleil de rayons

  • hauteur totale üusqu'à la bélière) : 3,1 cm
  • ruban : largeur totale 3,2 cm
  • raies blanches (à 1 mm du bord) : largeur 2 mm
  • (N° d'inventaire 04856)


2 - Modèle surmonté d'une couronne mobile

  • hauteur totale : 3,4 cm
  • ruban : largeur totale : 3,8 cm
  • raies blanches : largeur 4 mm
  • (N° d'inventaire 04857)


Signalons aussi les deux exemplaires de la décoration du brassard du musée de l'Armée (inventaire Ka 460 et 461) sur lesquels on observe quelques différences dans le tracé des monogrammes, la nuance de l'émail vert, le relief bombé ou plat, les dimensions de la couronne, la couleur du métal du soleil rayonnant (l'un est blanc, l'autre doré) ; enfin le vert des rubans allant du vert clair au presque bleu.

Le musée de Bordeaux, de son côté a hérité de la collection qui est sans doute la plus riche en souvenirs de l'institution du Brassard.

Garde d'honneur de la Ville de Bordeaux (Musée de l'Armée)

Sur le plan iconographique, citons un seul exemple qui se trouve au musée de l'Armée, dans la salle de la première Restauration : c'est le portrait anonyme d'un garde d'honneur de la Ville de Bordeaux. Cette œuvre intéressante présente toutefois certaines contradictions que nous allons rapidement développer : il s'agit, en effet, d'un cavalier portant au bras gauche un brassard de la Garde à pied.

Il porte également, conformément aux instructions du comte de Damas du 5 juin 1814, la décoration du lys suspendue à un ruban blanc. A ses côtés, et la précédant, se trouve la décoration du Brassard de Bordeaux qui s'est substituée au Brassard proprement dit en septembre 1814.

D'autre part, sur la partie blanche de l'uniforme, tout à fait à gauche, est cousu un grand lys blanc cerné de rouge, en drap découpé, qui ne correspond à rien de réglementaire.
La question se pose de savoir combien il y eut de décorés du Brassard ?
Selon Mengeot qui se référait à la liste publiée en 1818 dans les Etrennes royales de la ville de Bordeaux, il y en avait environ mille trois cents.

Les deux tableaux imprimés de la Garde royale à pied et des Volontaires royaux à cheval recensent près de mille cent cinquante noms.

Mais il y eut en outre quelques personnes qui reçurent le Brassard pour avoir contribué à la réussite de la journée du 12 mars.

Cette décoration connut un grand succès et fut même très convoitée. Prenons-en pour exemple la Garde royale du Périgord et du Quercy qui sollicita le Brassard pour ses membres, mais en vain car ils n'étaient pas à Bordeaux le 12 mars 1814 et ne figuraient pas sur les contrôles de Taffard. Seuls les quatre officiers du corps, ayant été en personne à Bordeaux le 12 mars, obtinrent satisfaction.

Que reste-t-il de ce millier de brassards et décorations ? En réalité fort peu. En effet après les journées de 1830 et dans la crainte des représailles, il fut procédé à la destruction de la plupart des brevets et insignes devenus compromettants.

En conclusion, l'éclosion de plusieurs types de décorations sous la première Restauration en vue de récompenser initialement des services militaires met en évidence le besoin de reconnaître un certain type de participation par l'institution d'un même insigne destiné à tous ceux qui contribuèrent à une même action et ceci quelque soit leur grade. Ce ne sont pas là des ordres, ce ne sont pas encore des insignes ou de véritables médailles commémoratives : cependant si l'institution du Lys avait initialement visé à la récompense de la Garde nationale engagée dans la campagne de France aux côtés de la Ligue, elle perdit aussitôt ce caractère sélectif pour rémunérer ou stimuler un ralliement ou un état d'esprit politiques.

En revanche les médailles de Gand, de Rouen, de Bayonne et plus encore le Brassard de Bordeaux furent créés pour distinguer une sorte de service collectif sans qu'il soit un fait d'armes. Cette tendance se précisera en France avec l'institution de la médaille de Mazagran (1840) et conduira à la conception des médailles commémoratives sous le second Empire.

 

Il existe au musée des Beaux-Arts de Dunkerque un autre portrait de M. Emmery, œuvre d'un artiste hollandais, Gérard van der Puyl, mais si l'identité du personnage est bien confirmée par une ressemblance certaine, il nous semble, par contre, exclu que ce soit la même main qui ait peint l'une et l'autre toile, en dépit de l'attribution donnée par le vendeur de notre tableau.

Nous savons que c'est le 25 thermidor an XI (13 août 1803) que le maire de Dunkerque reçut son écharpe d'honneur accompagnée d'une lettre signée de Bonaparte et du secrétaire d'Etat Hugues Maret ; le ministre de l'Intérieur, Chaptal, se chargeait de la transmission à l'intéressé.

La lettre était ainsi conçue :
"Citoyen Emmery maire, je suis satisfait de l'état de la ville de Dunkerque; je le suis des sentiments d'attachement que ses habitants m'ont montrés. Je vous envoie une écharpe d'honneur, je désire que vous la portiez.
Que les Dunkerquois y voient une preuve de la satisfaction que j'ai éprouvée au milieu d'eux et du cas particulier que je fais de votre personne" (cf. reproductions pages 12 et 14).

Une lettre identique fut adressée à chacun des maires distingués.

Ils firent tous partie (à l'exception de M. Porlier) d'une des premières promotions de la Légion d'honneur, le 23 vendémiaire an XII (16 octobre 1803).

Les Fastes de la Légion d'honneur (t. 11, p. 466) nous apprennent que J. M. J. Emmery, négociant à Dunkerque, avait été élu député du Nord en 1791 à l'Assemblée législative et qu'il avait commandé la garde-nationale de sa ville. Son attitude libérale à l'assemblée lui attira la vindicte de Robespierre qui le fit mettre en état d'arrestation, mais il put échapper aux massacres de la Terreur.

Rallié à Bonaparte lors des événements du 18 brumaire, celui-ci le désigna au conseil de commerce près le ministre de l'Intérieur.

Le 4 juillet 1803, il remit au Premier consul les clés de sa ville, clés qu'il avait refusées au duc d'York venu assiéger Dunkerque en 1793 avec quarante mille hommes.

Au discours d'accueil que lui fit Emmery, le Premier consul répondit "que les clés de la ville de Dunkerque ne pouvaient rester en de meilleurs mains qu'en celles du maire distingué qui les lui présentait".

Membre de la Légion d'honneur en 1803, ainsi que nous l'avons dit plus haut, Emmery reçut sa décoration avec éclat, le 16 août 1804, lors de la grandiose cérémonie du camp de Boulogne.

Comme tant de ses contemporains, le maire de Dunkerque renia sa fidélité à l'Empereur ; il se rallia tout de suite à Louis XVIII et fit partie de la députation "chargée de venir à Paris y apporter l'adhésion de sa ville à l'heureuse révolution qui venait de s'opérer".
"Depuis cette époque le nom d'Emmery est resté dans l'oubli le plus complet" (3).

(1) Le port d'une écharpe par des maires avait été décrété par la Convention du 14 avril 1793 : il s'agissait d'un simple ruban tricolore.
(2) Département formé à partir de la Belgique, réunie à la République par décret du 9 vendimiaire au IV (ler, - X - 1795).

(3) Fastes de la Légion d'honneur op. cit.



III - Insignes appartenant au musée de la Légion d'honneur

A - Brassard :
Le musée en possède trois exemplaires, deux de la Garde à pied, le troisième, récemment acquis, de la Garde à cheval.

En voici les caractéristiques :

Modèle de la Garde à pied

1 -Modèle de la Garde à pied, ruban de soie blanche bordée de soie verte.

  • largeur totale : 10 cm
  • largeur des bandes vertes : 8 mm
  • écusson 7,5 cm de diamètre
  • lettres 7 mm de haut
  • franges en fil argent torsadés : longeur 6 cm
  • (Collection Bucquet)


2 - Autre modèle de la Garde à pied, soie blanche bordée de soie verte.

  • (la couleur est très passée et a viré au gris)
  • largeur totale : 10,5 cm
  • largeur des bandes vertes : 10 mm
  • écusson : 6,8 cm sur 7,5 cm
  • lettres 8 mm de haut
  • franges d'argent très fines
  • (N° d'inventaire : 02758)
Modèle de la Garde à cheval

3 - Modèle de la Garde à cheval, basin blanc

  • largeur totale : 6 cm
  • soleil en fil d'argent : 6 cm sur 9 cm
  • plaque émaillée diamètre 4,5 cm
  • (N° d'inventaire 08575)


B - Décorations
Description générale : médaillon en or émaillé, de forme ovale, composé d'un soleil aux rayons d'or bruni. Le centre en émail blanc, porte deux "L" en écriture anglaise dorés, affrontés et entrelacés. Il est entouré d'une jarretière émaillée vert, bordée d'or avec l'inscription en lettres d'or "Bordeaux 12 mars 1814". Le médaillon est surmonté d'une couronne royale.

La décoration de Bordeaux

Le musée possède deux exemplaires de cette décoration, mais ils présentent entre eux certaines différences.

1 -Modèle surmonté d'une couronne fixe et encastrée dans la partie supérieure du soleil de rayons

  • hauteur totale üusqu'à la bélière) : 3,1 cm
  • ruban : largeur totale 3,2 cm
  • raies blanches (à 1 mm du bord) : largeur 2 mm
  • (N° d'inventaire 04856)


2 - Modèle surmonté d'une couronne mobile

  • hauteur totale : 3,4 cm
  • ruban : largeur totale : 3,8 cm
  • raies blanches : largeur 4 mm
  • (N° d'inventaire 04857)


Signalons aussi les deux exemplaires de la décoration du brassard du musée de l'Armée (inventaire Ka 460 et 461) sur lesquels on observe quelques différences dans le tracé des monogrammes, la nuance de l'émail vert, le relief bombé ou plat, les dimensions de la couronne, la couleur du métal du soleil rayonnant (l'un est blanc, l'autre doré) ; enfin le vert des rubans allant du vert clair au presque bleu.

Le musée de Bordeaux, de son côté a hérité de la collection qui est sans doute la plus riche en souvenirs de l'institution du Brassard.

Sur le plan iconographique, citons un seul exemple qui se trouve au musée de l'Armée, dans la salle de la première Restauration : c'est le portrait anonyme d'un garde d'honneur de la Ville de Bordeaux. Cette œuvre intéressante présente toutefois certaines contradictions que nous allons rapidement développer : il s'agit, en effet, d'un cavalier portant au bras gauche un brassard de la Garde à pied.

Il porte également, conformément aux instructions du comte de Damas du 5 juin 1814, la décoration du lys suspendue à un ruban blanc. A ses côtés, et la précédant, se trouve la décoration du Brassard de Bordeaux qui s'est substituée au Brassard proprement dit en septembre 1814.

D'autre part, sur la partie blanche de l'uniforme, tout à fait à gauche, est cousu un grand lys blanc cerné de rouge, en drap découpé, qui ne correspond à rien de réglementaire.
La question se pose de savoir combien il y eut de décorés du Brassard ?
Selon Mengeot qui se référait à la liste publiée en 1818 dans les Etrennes royales de la ville de Bordeaux, il y en avait environ mille trois cents.

Les deux tableaux imprimés de la Garde royale à pied et des Volontaires royaux à cheval recensent près de mille cent cinquante noms.

Mais il y eut en outre quelques personnes qui reçurent le Brassard pour avoir contribué à la réussite de la journée du 12 mars.

Cette décoration connut un grand succès et fut même très convoitée. Prenons-en pour exemple la Garde royale du Périgord et du Quercy qui sollicita le Brassard pour ses membres, mais en vain car ils n'étaient pas à Bordeaux le 12 mars 1814 et ne figuraient pas sur les contrôles de Taffard. Seuls les quatre officiers du corps, ayant été en personne à Bordeaux le 12 mars, obtinrent satisfaction.

Que reste-t-il de ce millier de brassards et décorations ? En réalité fort peu. En effet après les journées de 1830 et dans la crainte des représailles, il fut procédé à la destruction de la plupart des brevets et insignes devenus compromettants.

En conclusion, l'éclosion de plusieurs types de décorations sous la première Restauration en vue de récompenser initialement des services militaires met en évidence le besoin de reconnaître un certain type de participation par l'institution d'un même insigne destiné à tous ceux qui contribuèrent à une même action et ceci quelque soit leur grade. Ce ne sont pas là des ordres, ce ne sont pas encore des insignes ou de véritables médailles commémoratives : cependant si l'institution du Lys avait initialement visé à la récompense de la Garde nationale engagée dans la campagne de France aux côtés de la Ligue, elle perdit aussitôt ce caractère sélectif pour rémunérer ou stimuler un ralliement ou un état d'esprit politiques.

En revanche les médailles de Gand, de Rouen, de Bayonne et plus encore le Brassard de Bordeaux furent créés pour distinguer une sorte de service collectif sans qu'il soit un fait d'armes. Cette tendance se précisera en France avec l'institution de la médaille de Mazagran (1840) et conduira à la conception des médailles commémoratives sous le second Empire.