Le Mérite commercial et industriel, enquête sur un ordre méconnu.

Olivier Barnay

 

 

 « Montrez-moi un denier. De qui porte-t-il l’effigie et l’inscription ? De César, répondirent-ils. Alors il leur dit : rendez donc à César ce qui est à César, et à Dieu ce qui est à Dieu1. »

Lors des Xe Rencontres internationales de Phaléristique en 2016 à Dresde, il m’a été très aimablement demandé de présenter mes recherches sur l’ordre du Mérite commercial. Je me suis demandé si j’allais pouvoir produire plus d’une dizaine de lignes pertinentes sur ce sujet qui, soyons réalistes, n’a jamais déclenché un immense enthousiasme dans le monde des collectionneurs.

M’intéressant de longue date aux ordres de Mérite ministériels disparus en 1963, je me suis alors replongé dans mes notes et la très rare documentation existante sur le sujet. Il y a peu de choses sur les ordres ministériels disparus, et encore moins sur ce Mérite commercial. Pourtant chacun le connaît, ou croit le connaître, car on ne peut rester totalement indifférent à son aspect si typique de la période d’avant-guerre et son symbolisme original. Il est présent dans toutes les monographies sur les décorations françaises modernes, et comme le marronnier du bord de la route : on ne s’y intéresse qu’en cas d’accident. Alors, que sait-on vraiment à son sujet ?

J’ai récapitulé et vérifié autant que faire se peut les informations disponibles. Et c’est avec surprise que je me suis rendu compte que ce que l’on pense savoir à son sujet n’est probablement pas tout à fait juste.

Cet article se propose donc modestement de récapituler et de rectifier certaines informations qui ont pu être véhiculées sans questionnement, que ce soit sur le nom de son créateur présumé, le nombre de « types » d’insignes, la chronologie d’apparition de ces « types », la symbolique utilisée, et d’autres petites choses au passage. Nous allons donc tenter humblement de rendre à César ce qui est à César.

Il propose aussi certaines hypothèses et digressions qui, je l’espère, viendront aiguillonner la curiosité des lecteurs et les encourageront à contempler différemment l’ordre du Mérite commercial.

Les réflexions sur cet ordre n’engagent évidemment que leur auteur et doivent être plutôt considérées comme une base de questionnement critique. Je n’aurais pas de plus grande satisfaction si cela pouvait contribuer à raviver des discussions autour de ces ordres ministériels disparus, qui sont un reflet étonnant de la société française, de la fin de la Troisième République aux trente Glorieuses.

 

Contexte de la création de l’Ordre

 

M. Camille Bazille, député de la Vienne, présenta deux propositions, en 1894 et en 1899, visant à la création d’un « Ordre du Mérite industriel et commercial ». Dans son exposé des motifs en 1899 2, on peut lire : « À chaque exposition, il est demandé un très grand nombre de croix de la Légion d’honneur et il arrive souvent que, malgré tous les bons vouloirs, il soit difficile de donner satisfaction à tous les candidats proposés. »

Nous sommes en effet à la veille de l’exposition universelle de 1900, qui faisait suite, pour la Troisième République, aux expositions de 1878 et 1889.

Bazille continue : « Dans l’impossibilité où se trouve l’administration d’encourager des hommes qui ne se laissent pas seulement inspirer par le désir de faire fortune, mais par l’amour de leur pays, auquel ils veulent assurer richesse et honneur, le Parlement croira utile et juste de créer une décoration spéciale pour les services rendus au commerce ou à l’industrie, comme il en existe déjà pour l’instruction publique et l’agriculture. »

Il est fait ainsi référence aux Palmes d’officier d’académie ou d’officier de l’Instruction publique dont la création remonte au décret impérial du 17 mars 18083 et au Mérite agricole créé par Jules Grévy le 7 juillet 1883.

Il conclut : « Cette nouvelle distinction n’empêcherait pas la Légion d’honneur d’être décernée pour des services éminents et réellement exceptionnels, car nous ne devons pas oublier que nos industriels ont parfois à soutenir des luttes qui exigent autant d’énergie, de dévouement et de patriotisme que le champ de bataille. »

On sent bien le besoin légitime naissant dans le sillage des « Palmes 4 » et du « Poireau5 », de posséder un système plus large de récompenses civiles décentralisées aux ministères, destinées à alléger la pression de la demande sur la Légion d’honneur, tout en réservant cette dernière à la reconnaissance des « services éminents et réellement exceptionnels ».

Mais ces demandes successives, encore renouvelées en 1906, n’aboutissent pas. Ce n’est qu’en 1930 qu’apparaît le second mérite ministériel avec le Mérite maritime, puis le Mérite social en 1936 et l’ordre de la Santé publique en 1938.

Pourquoi y a-t-il eu un tel laps de temps entre le Mérite agricole de 1883 et le Mérite maritime de 1930 ? On peut avancer que deux événements radicalement différents dans leur nature ont suspendu la création de ces ordres de mérite d’un nouveau genre : le scandale des décorations de 18876 et la Grande Guerre. L’un fut un événement retentissant qui a inhibé toute tentation des hommes politiques d’autoriser la prolifération de décorations autres que militaires, et le second a éclipsé temporairement et naturellement le besoin de récompenser des mérites purement civils. Il faut de plus les replacer dans le paradoxe de l’opinion publique française, toujours prompte à se gausser des honneurs tout en les recherchant avidement par ailleurs.

 

 

Quoi qu’il en soit, c’est au lendemain de l’exposition internationale de Paris « Des Arts et Techniques appliqués à la Vie moderne » de 1937, et juste à la veille de la Seconde Guerre mondiale que le Mérite commercial voit le jour.

Le décret du 27 mai 1939, signé par Albert Lebrun et publié au Journal officiel du 14 juin 1939, stipule dans son article 2 que : « L’ordre du Mérite commercial est destiné à récompenser les personnes qui se sont distinguées par leur valeur professionnelle et par la contribution qu’elles ont apportée au développement de l’activité économique ou du commerce extérieur de la France. »

 

Il sera ultérieurement remplacé par le décret du 29 juin 1961 qui efface l’accent mis sur le commerce extérieur au profit d’une notion plus large de « développement du commerce et de l’industrie », cette dernière reflétant davantage la réalité du début des trente Glorieuses. Cette récompense dépend alors de deux ministères : celui des Finances et des Affaires économiques et celui de l’Industrie. Dès lors, il change de dénomination et s’appelle désormais « Ordre du Mérite commercial et industriel ».

On notera accessoirement dans ce dernier décret une disposition inusuelle dans son article 15 qui indique que « les titulaires d’une distinction dans l’ordre du Mérite commercial ont la faculté de porter à leur choix l’insigne du Mérite commercial ou l’insigne du Mérite commercial et industriel ». Il était logique que l’on évite des dépenses inutiles aux décorés d’un ordre qui vise à récompenser les champions d’une saine économie…

 

Nombre d’attributions

 

Le Mérite commercial n’a connu qu’une seule promotion à l’été 1939 et a été suspendu pendant toute la période de la guerre. Les nominations ont repris en 1947 et ont cessé avec l’instauration de l’ordre national du Mérite en 1963.

Au total des attributions, on peut faire l’estimation raisonnable suivante7 :

  • 432 commandeurs ;
  • 1298 officiers ;
  • 4172 chevaliers,

soit finalement un nombre relativement faible au regard de sa durée et comparativement à d’autres ordres ministériels, comme le Mérite social, par exemple.

 

Les insignes

 

Le Mérite commercial possède deux particularités uniques. La première est que l’insigne de chevalier est identique à celui d’officier 8. Tous deux sont de couleur or.

Faut-il y voir encore un souci d’économie destiné à ne changer que le ruban lors de la promotion au grade d’officier ? La seconde concerne le ruban, unique dans l’ensemble des médailles françaises, porteur d’un filet métallique doré tissé de part et d’autre d’un ruban de soie gris argent 9. On peut y ajouter aussi qu’il est le seul, parmi les ordres ministériels, à avoir eu son insigne formellement modifié par décret au cours de son existence 10.

Il est couramment répandu deux affirmations au sujet des insignes. La première est qu’il existerait quatre types ou modèles d’insignes. La seconde laisse entendre que l’auteur de ces insignes est le graveur médailleur Georges Guiraud. L’une est fausse, la seconde n’est sans doute pas tout à fait vraie, comme nous allons le voir.

Les différents types d’insignes

 

Il faut distinguer les types décrits par les textes officiels des variantes de fabrication qui ne sont que leur interprétation artistique. Si l’on s’en tient stricto sensu aux décrets, seules références incontestables en la matière, il n’y a que deux types d’insignes.

 

Le premier type du décret de 1939 est décrit dans son article 13 comme une étoile à huit branches en forme de rose des vents, dont les quatre branches principales sont les plus importantes. Les branches de l’étoile sont réunies par une roue dentée émaillée tricolore au centre de laquelle figure une effigie de la République française veillant sur le commerce extérieur, représenté par un navire. Le caducée du commerce est appliqué sur la décoration, les serpents entourent le motif central et les ailes forment bélière. Au centre du revers figure une mappemonde portant en exergue les mots « Mérite commercial ».

 

Le deuxième type est décrit dans l’article 13 du décret de 1961 qui introduit deux modifications importantes. Le centre de l’avers est remplacé par « une représentation symbolique des activités commerciales et industrielles » sur laquelle figure une effigie de la République française. Le revers est modifié pour porter en exergue les mots « Mérite commercial et industriel ».

 

Nous n’avons donc que deux types officiels d’insignes, dont les variantes résultent de différentes fabrications.

 

Les différentes fabrications

 

Trois fabrications différentes existent pour chacun des deux types, et étrangement aucune d’elles n’est strictement conforme aux dispositions des décrets.

Par commodité, nous distinguerons séparément les deux fabrications de la Monnaie de Paris et la fabrication "privée", même si nous pensons qu'Arthus-Bertrand en est le créateur "privé" initial.

On note, à cette occasion, que ces variantes notables entre les fabrications de la Monnaie et celles des fabricants privés concernent aussi l'ordre du Mérite social (1936), l'ordre de la Santé publique (1938) et les Palmes académiques (1955). En revanche, on ne retrouve pas de telles différences pour les autres insignes des Mérites ministériels fabriqués à la fois par la Monnaie et les fabricants privés. Ainsi le Mérite postal (1953) ou le Mérite combattant (1953) sont-ils quasiment identiques, quel que soit le fabricant.

 

Les fabrications de la Monnaie de Paris

 

La fabrication de la Monnaie de Paris du premier type

 

Le modèle de la Monnaie du premier type est globalement conforme à la description du décret de 1939. Néanmoins, le listel du centre du revers porte l’exergue « Ordre du Mérite commercial » alors que le décret précise que la mention doit être simplement « Mérite commercial ». Ce modèle n’est donc pas conforme aux stipulations précises du décret. Notons par ailleurs que la mappemonde au revers est centrée sur la zone Amérique – Atlantique – Europe – Afrique. Ce détail mérite d’être mentionné, car il aura son importance un peu plus loin.

Aucune mention ou signature d’auteur ne figure sur la médaille. Souyris-Rolland semble l’attribuer à Georges Guiraud, mais rien sur l’insigne ne vient vraiment prouver cette affirmation.

La marque de la Monnaie, deux cornes d’abondance en relief, se trouve au revers des ailes formant bélière. Ce double marquage, en vigueur depuis 1901, signale que toutes les parties constituant la médaille sont en vermeil. Chacune des cornes d’abondance est surchargée en creux d’un minuscule « A », confirmant ainsi que le métal utilisé est l’argent.

 

La fabrication de la Monnaie de Paris du second type

 

Le modèle du second type de la Monnaie diffère grandement en apparence du premier et a probablement été fait par un autre artiste dont - hélas encore - aucune marque ou signature ne figure non plus sur la médaille. Il applique les changements décrits dans le décret de 1961, mais avec la même divergence que précédemment concernant la mention au revers puisqu’on peut y lire « Ordre du Mérite commercial et industriel » au lieu de simplement « Mérite commercial et industriel ».

La fabrication de la Monnaie de Paris du second type

Le modèle du second type de la Monnaie diffère grandement en apparence du premier et a probablement été fait par un autre artiste dont - hélas encore - aucune marque ou signature ne figure non plus sur la médaille. Il applique les changements décrits dans le décret de 1961, mais avec la même divergence que précédemment concernant la mention au revers puisqu’on peut y lire « Ordre du Mérite commercial et industriel » au lieu de simplement « Mérite commercial et industriel ».

Sur l’avers émaillé de blanc, figure désormais la traditionnelle Marianne portant le bonnet phrygien sur fond d’usines. On distingue une immense proue de navire pétrolier. Les couleurs nationales de la roue dentée qui entoure le centre sont désormais parfaitement visibles. La mappemonde au revers, dont l’océan est maintenant émaillé de bleu11, est, comme pour le premier type de la Monnaie, centrée sur la zone atlantique. Les marques en relief de la Monnaie, placées au revers des ailes formant bélière, sont identiques à celles du modèle précédent.

 

La fabrication privée

Les différents fabricants recensés sont : Arthus-Bertrand, Chobillon et Paul Delande, sans que l’on trouve des différences notables entre les fabrications. Néanmoins, comme nous l’avons déjà signalé, il semblerait qu’Arthus-Bertrand soit à l’origine du modèle privé initial.

Les modèles privés du premier et du second type ne diffèrent que par le changement de mention au revers. Le premier porte l’exergue « Mérite commercial » ; le second « Mérite commercial et industriel ». Ils sont en cela conformes aux dispositions des deux décrets de 1939 et 1961, contrairement aux fabrications de la Monnaie. Notons, et cela aura aussi son importance par la suite, que le revers dispose la mappemonde sur la zone Afrique – Océan Indien – Extrême-Orient.

Mais attardons-nous sur ce qui doit être l’effigie de la République française. Signée à la base de sa nuque L.M., elle est l’oeuvre de Louis Muller. On peut en avoir la certitude, car on la retrouve à l’identique sur le centre de l’avers du Mérite combattant qui comporte la signature en toutes lettres de L. Muller.

Louis Muller s’est très probablement inspiré de la déesse phénicienne Tanit, déesse de la fécondité, dont on trouve une représentation très similaire, notamment par sa chevelure, sur des décadrachmes phéniciens antiques.

La poupe de navire phénicien présente en arrière-plan de l’effigie vient confirmer cette interprétation. Louis Muller s’est donc détaché des représentations classiques de la République du type de Cérès ou Marianne. Cela est tout à fait cohérent avec le style « Art déco » de Louis Muller, mais diffère de ce que le décret semblait vouloir dans son esprit, à savoir une effigie classique de la République, que la Monnaie de Paris a, quant à elle, visiblement préférée.

L’avers du deuxième type est identique à celui du premier type et n’est donc pas conforme à la description du décret de 1961, qui prévoit en plus une représentation des activités industrielles. Louis Muller étant décédé en 1957, on peut supposer qu’Arthus-Bertrand a renoncé, contrairement à la Monnaie, à faire appel à un nouvel artiste pour changer le centre de l’avers.

De plus, comme le décret prévoyait que l’ancien insigne restait en vigueur, on pourra arguer du fait qu’il n’y avait pas de nécessité absolue de changer complètement l’insigne.

Le poinçon de garantie « au sanglier » (quand la médaille est en vermeil) et le poinçon de maître se trouvent sur le passant de la bélière pour les modèles de chevalier et d’officier (qui sont de toute façon identiques). Pour l’insigne de commandeur, ils se trouvent sur le passant de suspension de la cravate.

La question des auteurs des trois différentes fabrications

Comme nous l’avons vu, on lit communément que le médailleur Georges Guiraud est le créateur et l’auteur des insignes du Mérite commercial. Ce n’est probablement pas complètement vrai, comme nous allons le voir.

Les documents de référence en la matière sont rares. On constate que le premier à signaler Georges Guiraud est Souyris-Rolland12, mais avec une coquille puisqu’il l’écrit « Giraud ». Cette erreur sera reprise par la suite par d’autres auteurs13. Tous les documents disponibles mentionnent Georges Guiraud comme créateur des insignes du Mérite commercial, et, la fabrication de la Monnaie de Paris comme « premier type » dans l’ordre chronologique, mais sans plus ample recoupement, citation de source ou approfondissement du sujet.

Or, il suffit de prendre simplement une bonne loupe pour s’apercevoir que les choses sont probablement moins simples qu’il n’y paraît.

Avec la loupe, on constate, comme nous l’avons signalé, que le modèle de fabrication privée possède une minuscule signature « L.M. » derrière le cou de l’effigie. Il ne peut donc pas s’agir de Georges Guiraud pour les fabrications privées. C’est donc quelqu’un d’autre, et c’est bien Louis Muller.

Toujours avec une loupe, on constate que les deux fabrications de la

Monnaie ne possèdent aucune signature. L’auteur pourrait donc être Georges Guiraud, puisque rien n’indique qu’il s’agit d’un autre. Si c’est le cas, aurait-il fait les deux modèles de la Monnaie qui diffèrent grandement dans leur style ? Aurait-il été le créateur du modèle initial ? Rien n’est moins sûr et il y a des raisons objectives d’en douter. Une comparaison de quelques œuvres de Georges Guiraud et de Louis Muller s’impose donc ; elle permet d’affirmer quelques certitudes et d’émettre des hypothèses.

Commençons par celui dont on est absolument sûr : Louis Muller.

Louis Muller

 

Charles-Louis Muller est né en 1902 à Vénissieux. Élève de l’École des Beaux-Arts de Lyon puis de Paris, il acquiert une certaine renommée dès l’âge de 23 ans. En 1929, il obtient le premier second-prix de Rome en gravure en médailles, puis se voit décerner en 1932 le premier prix de Rome de gravure en médailles avec « Les Adieux ».

Sa carrière de médailleur débute très tôt en 1936 par la fourniture pour Arthus-Bertrand de la médaille d’honneur des chemins de fer des colonies ; sa Marianne s’inspire directement de celle d’Oscar Roty, présente sur la médaille des Chemins de fer de métropole.

On peut émettre l’hypothèse - tout à fait sérieuse - que c’est Louis Muller qui a créé en 1939 le modèle du Mérite commercial, probablement toujours pour Arthus-Bertrand. L’existence de ce modèle dès l’origine de l’ordre peut en effet être prouvée grâce à la publication d’une photo du modèle de fabrication privée du premier type dans le journal Travaux nord-africains daté du 12 août 1939, soit quelques jours après la publication au Journal officiel de la première promotion du Mérite commercial.

En 1953, Louis Muller réalise le modèle du Mérite combattant, dont l’effigie du centre reprend à l’identique celle du Mérite commercial. C’est ainsi que la déesse phénicienne Tanit se retrouve bizarrement et sans raison symbolique évidente sur ce nouvel ordre…

La même année, il réalise le Mérite postal dont le style basé sur la symbolique d’Hermès ou Mercure rappelle celui du Mérite commercial, notamment par la présence du caducée et de sa bélière ailée.

Toujours en 1953, il grave la Médaille commémorative d’Indochine en collaboration avec le général J. Carlier qui a effectué le dessin.

En 1955, il réalise « la Marianne de Muller » pour les timbres postaux du même nom, et dont on retrouve un petit air de famille avec le profil de Tanit au nez légèrement aquilin et au front ceint de feuilles de chêne…

Par ailleurs, il réalise seize épées d’académiciens 14, dont celles d’Édouard Herriot (1946) et de René Cassin (1947).

Il meurt prématurément le 23 mai 1957 à Antony. Sa ville natale, Vénissieux, donne son nom à l’une de ses rues en 1958.

Georges Guiraud

Georges Guiraud suit une carrière de graveur en médailles comparable à celle de Louis Muller et dans laquelle il le précède chronologiquement, mais semble en revanche lui succéder dans le domaine phaléristique. Né en 1900 à Toulouse, il est élève de l’École des Beaux-Arts de Paris en 1921 et obtient lui aussi ses prix très jeune. Premier second-prix de Rome en 1923, il obtient le premier prix en gravure de médailles en 1926 pour un « Pêcheur attaqué par une pieuvre ». Pratiquant aussi la peinture et l’aquarelle, il est nommé peintre de la Marine en 1942. Il semblerait qu’entre les années 1930 et 1950, il ait mis davantage l’accent sur la peinture plutôt que sur la gravure de médailles.

C’est en 1950, sur commande de la Monnaie de Paris, qu’il réalise les populaires pièces de 10, 20 et 50 francs. La comparaison de la Marianne figurant sur cette monnaie avec celles figurant sur les Mérite commercial de la Monnaie de Paris ne permet pas de conclure à une similitude absolue, même si elles présentent quelques traits de familiarité, notamment sur le bas du visage.

Il signe en 1953 le nouveau modèle de la médaille des Chemins de fer pour la Monnaie de Paris.

Il réalise, toujours pour la Monnaie de Paris, la médaille du Patriote proscrit en 1954. En 1957, il grave pour la Monnaie la médaille des Transports routiers. Citons qu’il réalise en 1963 la peu connue médaille de la reconnaissance artisanale15, toujours attribuée de nos jours.

En 1977, il réalise le dernier modèle de la médaille des Chemins de fer, modèle avec le TGV.

Georges Guiraud meurt le 12 mai 1989 à Saint-Hilaire-au-Temple (Marne). Une rue de Saint-Hilaire-au-Temple porte son nom.

Qui est le créateur initial de l’insigne du Mérite commercial ?

Il est incontestable que Louis Muller est l’auteur du modèle de fabrication privée du premier type dont on sait qu’il existe depuis l’origine de l’ordre en 1939. Georges Guiraud, qui n’a malheureusement pas signé son oeuvre sur le Mérite commercial, pourrait donc être l’auteur du modèle de la Monnaie. Mais de quel modèle de la Monnaie s’agit-il ? Le premier ou le second type, ou bien les deux ?

N’ayant pu trouver aucun document probant, nous sommes maintenant contraints aux hypothèses.

Il semblerait que la carrière de Georges Guiraud ait connu deux grandes périodes après l’obtention du prix de Rome et son séjour à la villa Médicis. Une première période, des années 1930 jusqu’à la fin des années 1940, semble avoir été dominée par la peinture et des séjours en Polynésie. On trouve en effet la preuve de sa première (?) commande par la Monnaie pour les pièces de 20, 30 et 50 francs seulement vers 1950. Sa première médaille portable est celle des Chemins de fer en 1953. On ne trouve pas de trace de production de médailles portables avant cette date. En revanche, on peut prouver l’existence du modèle du Mérite commercial de Louis Muller dès sa création en 1939, et on peut attester de sa collaboration avec Arthus-Bertrand dès 1936 avec la médaille des Chemins de fer des colonies. Une hypothèse raisonnable consiste donc à penser que Louis Muller fut en fait le créateur du Mérite commercial du modèle privé du premier type, et que Arthus-Bertrand aurait fourni les premiers insignes en 1939.

Après le décès de Louis Muller en 1957, et alors que le Mérite commercial change de dénomination en 1961, Georges Guiraud aurait peut-être eu alors la commande par la Monnaie de Paris de réaliser le modèle original du second type. Ceci expliquerait le changement notable de style entre le premier et le second type de la Monnaie.

Georges Guiraud serait donc probablement le créateur du second type de la Monnaie, ce qui a été interprété abusivement par certains comme le créateur initial, et source de confusion jusqu’à aujourd’hui.

Le premier type de la Monnaie de Paris, quant à lui, serait alors seulement une interprétation, par les ateliers de la Monnaie, du modèle original de Louis Muller de 1939. D’ailleurs, les brevets connus du Mérite commercial représentent bien le modèle privé du premier type, et non celui de la Monnaie.

Un indice d’une fabrication postérieure à 1939 des deux types de la Monnaie de Paris pourrait se trouver au revers de la médaille. Nous avons vu que la mappemonde de la Monnaie de Paris représente pour les deux types la zone Amérique – Atlantique - Afrique, alors que celle de Muller est tournée vers la zone Afrique – Océan Indien – Extrême-Orient. Cette dernière reflète bien la zone économique dominante du commerce extérieur français de l’avant-guerre, tandis que l’autre reflète davantage celle de l’après-guerre. On pourrait donc supposer que le premier type de la Monnaie de Paris serait apparu après 1945, et à l’occasion de la reprise des nominations en 1947. On ne peut pas penser que ces différentes dispositions de la mappemonde soient uniquement dues au hasard.

Un autre indice qui indiquerait que Georges Guiraud serait bien l’auteur du deuxième type de la Monnaie de Paris réside dans les détails du centre de l’avers. On y trouve une usine, symbolisant les activités industrielles, et une immense proue de navire pour les activités commerciales. Rappelons que Georges Guiraud était peintre officiel de la Marine et avait reçu commande de la société ESSO au milieu des années 1950 de la fabrication de figures de proue de cinq mètres sur huit pour les navires pétroliers Esso Paris (lancé en 1953), Esso Parentis (1957) et Esso Bourgogne (1959). La proue de navire représentée ne va pas jusqu’à porter l’une des trois figures réalisées par

Guiraud pour Esso. Mais on ne peut cependant pas s’empêcher de penser que, s’il est bien l’auteur du deuxième type de la Monnaie de Paris, cette proue de navire est peut-être bien un clin d’œil de l’artiste aux ouvrages qu’il venait de réaliser.

Pour conclure…

En résumé et pour conclure cette étude autour de l’ordre du Mérite commercial, nous pouvons suggérer qu’en se fondant sur les décrets, il n’existe - en toute rigueur - que deux types officiels :

  • le premier type de 1939, du « Mérite commercial » ;
  • le second type de 1961, du « Mérite commercial et industriel ».

Nous dénombrons trois variantes de fabrication :

  • la fabrication privée « de Muller », dont on observe deux revers différents, correspondant respectivement au premier et au second type ;
  • la fabrication de la Monnaie de Paris du premier type ;
  • la fabrication de la Monnaie de Paris du second type.

Concernant la chronologie d’apparition, nous pensons que :

  • la fabrication privée « de Muller » du premier type de fabrication Arthus-Bertrand est probablement le modèle initial de 1939 ;
  • la fabrication de la Monnaie de Paris du premier type serait apparue plus tardivement, peut-être à l’occasion de la reprise des nominations de cet ordre en 1947, et pourrait être simplement une interprétation du modèle « de Muller » par les ateliers de la Monnaie ;
  • et bien évidemment, le second type n’est apparu qu’à partir de 1961.

Quant aux auteurs, nous pouvons supposer que :

  • Louis Muller est l’auteur original du premier type de la fabrication privée dès 1939 et serait donc le créateur du premier insigne de l’ordre ;
  • Georges Guiraud est peut-être l’auteur du premier type de la Monnaie de Paris, mais aucun indice tangible ou document ne vient à l’appui de cette hypothèse. Il semble peu probable que les deux fabrications de la Monnaie et privée aient coexisté dès 1939 ;
  • -eorges Guiraud est très probablement l’auteur du second type de la Monnaie de Paris en 1961, et c’est par confusion dans la chronologie des différents types et fabrications que Souyris-Rolland puis l’ensemble des auteurs à sa suite lui ont attribué la paternité du premier type.

Notes de bas de pages

 

1.Évangile selon Saint Luc.

2 Annexe au procès-verbal de la séance du 24 mai 1899.

3 Les Palmes académiques ne seront constituées en ordre ministériel qu’en 1955.

4 Surnom des insignes d’Officier d’académie, et, de l’Instruction publique.

5 Surnom du Mérite agricole.

6 Lire à ce sujet « La justice et le scandale des décorations. Aux origines du trafic d’influence » de Pierre Lascoumes et Frédéric Audren dans La Fabrique de l’Honneur. Les médailles et les décorations en France (XIXe-XXe siècles), Presses Universitaires de Rennes, Rennes, 2009.

7 Estimation réalisée à partir de la compilation des J.O. de 1950 à 1963 réalisée dans De Gaulle et le Mérite (voir bibliographie) augmentée et complétée par les promotions parues en 1939, 1947, 1948 et 1949.

8 Particularité que l’on retrouve néanmoins dans certains ordres coloniaux.

9 Article 14 du décret de 1939, repris in extenso en 1961.

10 On pourrait y ajouter les Palmes académiques, dont l’insigne a été modifié lors de son instauration formelle comme ordre ministériel en 1955. Cependant, son insigne n’a pas été modifié par la suite.

11 Très fragile, cet émaillage du revers est rarement trouvé intact.

12 Souyris-Rolland (A.), Guide des ordres civils français et étrangers, des médailles d’honneur et des sociétés, Préal-Supcam, Paris, 1979.

13 Dont au moins J.M. Blondel dans le n° 209 de Symboles et Traditions, pp. 36-38, Paris, janvier-mars 2009.

14 13 projets d’épées de Louis Muller sont conservés à la bibliothèque de l’Institut de France

15 Décernée par les Chambres de métier, elle possède trois échelons : bronze, argent et or.

 

Bibliographie succincte et ressources internet :

Souyris-Rolland (A.), Guide des ordres civils français et étrangers, des médailles d’honneur et des sociétés, Préal-Supcam, Paris, 1979.

Blondel (J.M.), Symboles et Traditions n°209, pp. 36-38, Paris, janvier-mars 2009.

Vernier (O.), « Célébrer les mérites civils aux débuts des trente Glorieuses : les ordres ministériels sous la IV e République (1948-1958) », extrait de : Les oubliés de l’histoire, version électronique, 134e Congrès national des sociétés historiques et scientifiques, Bordeaux, 2009. Téléchargeable : http://cths.fr/ed/edition.php?id=5847

Collectif, La Fabrique de l’Honneur. Les médailles et les décorations en France (XIXe-XXe siècles), Presses universitaires de Rennes, Rennes, 2009.

Collectif, de Gaulle et le Mérite, Création d’un ordre républicain, Société des amis du musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie, Paris, 2013.

Gallica, Bibliothèque nationale de France, pour le Journal officiel de 1880 à 1946 et la presse. http://gallica.bnf.fr

France Phaléristique, site de Marc Champenois. http://www.france-phaleristique.com