Les ordres et médailles du royaume de Serbie
Daniel Werba
Exposé dans le cadre du 8e congrès européen de phaléristique organisé à Paris par la Société des amis du musée de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie
Je dois aux caprices du hasard de conclure le cycle de cette journée d’étude consacrée aux décorations.
Les ordres des royaumes de Serbie et de Yougoslavie ont retenu mon attention et cela, pour deux raisons :
- La première, c’est qu’à ma connaissance et sous réserve d’une publication déjà ancienne (1902) de messieurs Brasier et Brunet, il n’existe pas de documentation en langue française sur le sujet. Nos amis anglais et américains se sont montrés bien plus féconds ; je pense notamment aux écrits du Prince Dimitri Romanoff et surtout à l’ouvrage de référence : « Serbian and Yougoslavian orders and decorations » de messieurs Car et Muhic.
- La deuxième raison est plus sentimentale. En cette année du centenaire de la Première Guerre mondiale, il était légitime, par le biais de cette modeste contribution, de rendre hommage au courage du peuple serbe et de rappeler les liens étroits unissant nos deux pays.
Pour sceller cette amitié, les Serbes ont décerné de nombreuses distinctions aux militaires français de l’armée Franchet d’Esperey et, au coeur de Belgrade, ils ont élevé en 1930 un monument à la France portant l’émouvante inscription « Aimons la France comme elle nous a aimés ».
La France, il est vrai, ne fut pas en reste :
- Par décret du 28 décembre 1920, la Légion d’honneur était décernée à la ville de Belgrade pour « sa bravoure sans défaillance, magnifique symbole de la résistance puis de la victoire d’une nation décidée à ne pas périr ».
- Une magnifique statue du roi Pierre 1er, oeuvre du sculpteur Real Del Sarte, orne la place de Colombie à Paris.
Ceci étant, je me propose d’esquisser un bref aperçu de l’histoire de la Serbie de manière, du moins je l’espère, à offrir une approche plus compréhensible de la phaléristique serbe et de ses symboles.
Le royaume de Serbie s’est constitué à la fin du XIIe siècle sous l’autorité de Stefan Nemanjic, père fondateur de la dynastie du même nom.
Durant deux siècles, les Nemanjic vont faire de la Serbie l’état le plus puissant et le plus prospère des Balkans :
- D’abord par un développement économique important favorisé par l’exploitation de nombreuses mines d’argent.
- Par un rayonnement culturel illustré par Sava Nemanjic, fondateur de l’Église orthodoxe serbe.
- Enfin, par une expansion territoriale considérable dont l’apogée se situe au XIVe siècle sous le règne de Dusan Le Fort, empereur des Serbes et des Grecs.
La mort de Dusan en 1355 marque le début du déclin de la monarchie, affaiblie par les divisions, alors qu’aux frontières grandit le péril ottoman. Pour s’opposer à ce dernier, il fallait un souverain énergique capable de réunir sous son autorité les seigneurs serbes plutôt frondeurs. Cet homme providentiel a pour nom Lazare Herbeljanovic qui accède au trône en épousant la princesse Milica Nemanjic. Il réussit à fédérer toutes les forces de la région en une coalition regroupant sous la même bannière les Slovènes, les Bosniaques et les Serbes.
Désormais sont réunis les ingrédients de l’affrontement entre ces deux nations dont aucune ne veut céder le pas à l’autre. Affrontement dont le dénouement va sceller pour les siècles à venir l’histoire des Balkans. C’est le 15 juin 1389 (calendrier julien), dans la plaine du Champ des Merles (proche de Pristina, actuelle capitale du Kosovo) que se déroule la bataille connue sous le nom de Kosovo Polje.
Sont face à face :
- l’armée ottomane forte de 140.000 hommes commandés par le sultan Mourad en personne
- l’armée serbe forte de 70.000 hommes menés par le prince Lazare.
Cette journée funeste pour le royaume de Serbie a une dimension mythique et religieuse exceptionnelle. Elle est le symbole absolu de l’honneur, du courage et du sacrifice pour la Patrie. Célébré encore aujourd’hui sous le nom de Vidovdan, l’anniversaire de la bataille témoigne de l’éveil de la conscience nationale du peuple serbe. Dans cette bataille particulièrement sanglante va périr la fine fleur de la chevalerie serbe. Au premier rang des morts, on relève le prince Lazare ainsi que le sultan Mourad, tué par le chevalier Milosh Obilic dont la vaillance et l’audace lui ont ouvert les portes du panthéon des héros serbes.
La médaille de la bravoure créée en 1913 lors des guerres balkaniques et destinée à récompenser les hautes vertus militaires porte ainsi son nom.
La mort de Dusan Le Fort en 1355 avait marqué le déclin de la monarchie serbe, la bataille de Kosovo Polje en marque le crépuscule. Exsangue, la Serbie ne peut plus s’opposer à la mainmise de l’Empire ottoman sur les Balkans :
- Prise de Constantinople en 1453
- Prise de la citadelle de Smderevo, verrou de la Serbie en 1459
- Prise de Belgrade en 1521.
Pour trois siècles, la Serbie passe sous domination ottomane.
Pour autant, l’occupation ottomane ne viendra pas à bout de l’identité serbe cimentée par la foi orthodoxe ancrée au cœur du peuple. À la fin du XVIIIe siècle, l’écho de la Révolution française se propage à travers l’Europe et avec lui le souffle de la liberté. En 1804, le jour de la Chandeleur, éclate à Orasac une première révolte menée par Djorge Karageorgevich (Georges Le Noir) qui s’empare de Belgrade et se fait proclamer prince des Serbes (1808).
Ce soulèvement est écrasé dans le sang et Georges Le Noir est contraint à l’exil. Pour autant, Constantinople ne parvient pas à imposer la paix, alors et surtout que la présence française dans les provinces illyriennes de Trieste au Monténégro favorise de plus fort le réveil de la conscience nationale.
En 1815 éclate une seconde révolte menée par Milos Obrenovic nommé prince de Serbie en 1827, ce qui est entériné par la Sublime Porte en 1830. La Serbie est désormais une province autonome. Entre-temps, Milos Obrenovic avait fait assassiner Karageorgevich dont le retour d’exil risquait de porter ombrage à son ambition. Ce crime explique la rivalité sanglante qui tout au long du XIXe siècle va opposer ces deux familles et provoquer un véritable chassé-croisé à la tête de l’État.
1815 à 1842 : les princes Milosh, Milan II et Michel III Obrenovich
1842 à 1858 : Alexandre Karageorgevich (fils de Georges Le Noir)
1858 à 1903 : les princes Milosh 1er, Michel III (assassiné en 1868), Milan IV (futur roi de Serbie sous le nom de Milan 1er), Alexandre 1er Obrenovich (assassiné en 1903 avec son épouse la reine Draga)
1903 à 1945 : Pierre 1er, Alexandre 1er (futur roi de Yougoslavie) et Alexandre II.
Pour autant et en dépit de cette instabilité chronique, le pays se dirige à grands pas vers l’indépendance. Tout commence par un événement hautement symbolique : le 18 avril 1864, le prince Milan IV reçoit d’Ali Reza Pacha les clés de la forteresse de Kalamegdan à Belgrade où cantonnait la dernière garnison turque d’occupation.
La suite, ce sont deux guerres victorieuses (1876 et 1879) menées contre la Turquie et sanctionnées par les traités de Sanstefano et de Berlin qui offrent à la Serbie son indépendance (article 34) et des frontières reconnues internationalement (article 36).
Fort de sa popularité, le prince Milan IV se fait proclamer roi de Serbie le 6 mars 1882 sous le nom de Milan 1er. Grisé par le succès, il se lance dans une guerre malheureuse contre le voisin bulgare. Il s’ensuit une véritable déroute qui le contraint à l’abdication.
Lui succède son fils Alexandre 1er dont le règne chaotique connaîtra une fin tragique. Alexandre 1er est en effet assassiné avec son épouse la reine Draga le 30 juin 1904 dans le palais royal de Belgrade. Ce coup d’État sanglant a été mené par un groupe d’officiers nationalistes appartenant à l’organisation de la Main Noire dont on reparlera quelques années plus tard, très exactement le 28 juin 1914 à Sarajevo.
Monte alors sur le trône Pierre Karageorgevich, petit-fils de Georges le Noir, couronné roi de Serbie en 1904 sous le nom de Pierre 1er.
Avec le roi Pierre 1er s’ouvrent entre la Serbie et la France des relations très privilégiées. En effet, pour la France, ce roi est loin d’être un inconnu. Exilé en France avec son père en 1858, il fréquente le collège Sainte-Barbe puis intègre l’École Militaire de Saint-Cyr (47e promotion Puebla 1862-1864). En 1870, lors de la guerre franco-prussienne, il s’engage dans la Légion étrangère. Il participe aux combats sous Orléans où il est fait prisonnier. Il parvient à s’évader, traverse la Loire à la nage et rejoint l’armée Chanzy. (Un monument situé parc Louis Pasteur à Orléans rappelle cet épisode). Puis il passe à l’armée de l’Est et sera de la bataille de Villersexel. Son courage durant la guerre sera distingué par la croix de chevalier de la Légion d’honneur. Bien plus tard, en 1911, lors d’une visite officielle à Paris, il reçoit la médaille commémorative de la guerre de 1870-1871.
En 1912 et 1913, la Serbie mène deux guerres victorieuses : la première guerre balkanique contre la Turquie, et la deuxième guerre balkanique contre la Bulgarie. À la veille de la Première Guerre mondiale, la Serbie est donc devenue le plus puissant état des Balkans, ce qui lui vaut le surnom de « petite Prusse ».
Pour la Serbie, le premier conflit mondial va être une terrible hémorragie. Le prix payé en vies humaines est le plus lourd de tous les pays belligérants avec un million de morts (dont plus de 400 000 militaires) pour une population d’à peine quatre millions d’habitants. On frôle les 30% de pertes.
Il était légitime que la Serbie récolte les fruits de son héroïsme. Les traités de Saint-Germain, de Neuilly et de Trianon lui accordent les dépouilles de l’empire austro-hongrois et du royaume de Bulgarie. La Slovénie, la Croatie, la Bosnie, la Macédoine et même le royaume du Monténégro lui sont accordés. Le 1er décembre 1918, Pierre 1er devient roi des Serbes, des Slovènes et des Croates.
À sa mort en 1921, son fils Alexandre 1er lui succède. En 1929, il prend le titre de roi de Yougoslavie (« le pays des Slaves du Sud »). En 1934, Alexandre 1er et le ministre Louis Barthou sont assassinés à Marseille par un oustachi (nationaliste croate). Son fils Pierre II monte sur le trône, mais en 1941 l’invasion allemande le contraint à l’exil.
Le drame de la Seconde Guerre mondiale va ensanglanter l’Europe, emportant dans la tourmente toutes les monarchies balkaniques dont aucune ne survivra. Ce n’est que le 29 novembre 1945 que la monarchie est officiellement abolie en Yougoslavie pour faire place à la République fédérale populaire de Yougoslavie avec, à sa tête, le maréchal Tito.
Ensanglantée par l’affrontement entre Obrenovich et Karageorgevich, meurtrie par deux guerres, l’histoire serbe n’est pas un long fleuve tranquille.
De cette histoire tourmentée, les ordres serbes sont le reflet ; chacune des deux monarchies a créé ses propres distinctions. Sur ce plan, les Obrenovich ont cependant été largement les plus prolifiques avec pas moins de cinq ordres en à peine trente ans :
- 1865 : ordre de Takovo
- 1882 : ordre de l’Aigle Blanc
- 1882 : ordre de Saint-Sava
- 1889 : ordre du Prince Lazare
- 1898 : ordre de Milosh Le Grand.
Cette profusion s’explique, d’une part, par une autonomie récente - et donc le désir de rattraper le temps perdu - avec la volonté de s’aligner sur les autres états de l’Europe en disposant d’un éventail d’ordres et de médailles. Et d’autre part, par la pression de l’armée, pilier du régime, qui souhaitait que ses mérites soient reconnus et honorés. Cette abondance de distinctions pour un pays qui en 1900 compte moins de trois millions d’habitants sera moquée par 1’écrivain Radoja Domanovic dont la nouvelle satirique Servillie dénonce cette débauche de dignités.
Pour leur part, les Karageorgevich ont été plus modérés :
- 1904 : ordre de l’Étoile de Karageorge
- 1930 : ordre de la Couronne de Yougoslavie.
Avant d’aborder le détail de ces distinctions, deux observations valent pour l’ensemble de ces ordres :
- ils ont un caractère élitiste, puisque réservé de manière quasi exclusive aux dignitaires du régime, officiers et bourgeoisie
- les fabrications sont de belle qualité et d’une esthétique irréprochable, sachant qu’ils sont l’oeuvre des meilleures maisons autrichiennes, suisses et françaises.
Ceci étant, et pour l’étude de ces différents ordres, nous nous en sommes tenu à l’ordre chronologique de leur création, classement le plus simple et le plus logique.
I - L’ordre de Takovo
C’est le plus ancien des ordres serbes, puisqu’il a été créé le 22 mai 1865 par le prince Michel III Obrenovich pour commémorer le 59e anniversaire du soulèvement de 1815 dirigé par son aïeul Milos, soulèvement qui avait éclaté dans le village de Takovo.
À l’origine, il s’agissait d’une simple médaille d’aspect plutôt modeste n’existant qu’en une seule classe en bronze non émaillé et destinée aux survivants de la révolte de 1815. Une médaille proche de celle de Sainte-Hélène pour la France, qu’il fallait ménager. Cette prudence s’explique par la susceptibilité de l’Empire ottoman, suzerain de jure de la Serbie, qu’il fallait ménager.
On peut noter la relative souplesse du sultan qui avait toléré dès 1839 la même marque d’autonomie du bey de Tunis, en autorisant la création du Nichan Iftikhar.
Au fil du temps, la croix de Takovo s’est étoffée : avec trois classes en 1876 et cinq en 1878, elle gagne également en élégance, désormais fabriquée en métal précieux (argent ou vermeil) et émaillée.
Bien que d’une composition hétéroclite « Croix de Malte sur Croix de Saint-André » surmontée d’une couronne, elle est néanmoins une réussite esthétique.
À l’avers, le médaillon central est au chiffre de Michel III puis de Milan IV. Le bandeau d’émail bleu porte l’inscription «POUR LA FOI LE PRINCE LA PATRIE» et au revers, les grandes armes de Serbie. Le ruban est aux couleurs de la Serbie, rouge avec liseré blanc et bleu. Le 23 janvier 1883, le roi Milan 1er crée une division militaire qui se signale par l’adjonction de deux épées croisées.
À l’exception du joaillier bavarois Jacob Leser, les croix de Takovo sortent d’ateliers viennois : Vincent Mayer - Anton Furst Rothe et Neffe Karl Fleischacker – Georges Adam Scheide.
Lors de l’avènement de Pierre 1er Karageorgevich, l’ordre fut aboli, car marqué au sceau de l’ancienne dynastie, mais habilement, le roi en a autorisé le port.
II. L’ordre de l’Aigle Blanc
L’ordre de l’Aigle Blanc a été créé le 23 janvier 1883 par le roi Milan 1er pour récompenser les services rendus au roi, à la maison royale et en commémoration de la restauration du royaume.
Le règlement sur les ordres et médailles publié le même jour alignait les distinctions du royaume sur les ordres de l’Europe, à savoir cinq classes dont trois grades : chevalier, officier, commandeur, et deux dignités : grand-officier et grand-croix. La décoration, particulièrement élégante, est vraisemblablement inspirée de l’ordre de l’Aigle blanc de Russie ou de l’ordre de François-Joseph d’Autriche. Elle se compose d’un aigle bicéphale émaillé blanc surmonté d’un bandeau bleu et d’une couronne royale. L’aigle à deux têtes appartient à la dynastie des Nemanjic qui l’ont adopté à la suite des Paléologues. Ce symbole recouvre plusieurs significations : l’attachement à l’orthodoxie, l’alliance entre Serbes et Grecs (empereur des S et G), le royaume de Dieu et le royaume terrestre.
À l’avers, un médaillon ovale portant les armes de la Serbie telles qu’adoptées le 20 juin 1882 par les Obrenovich, et, au centre, les armes de la nation serbe : de gueule à la croix d’argent cantonnée de quatre briquets, de même, adossés deux à deux. La signification des briquets vient de la lettre grecque B pour BASILEUS BASILEON BASILEUON BASILEUSIN (roi de roi régnant sur les rois) et de la lettre cyrillique C pour SABO SLOGA SRBINA SPASAVA (seule l’union sauve les Serbes). Au revers, un médaillon ovale avec le monogramme du roi Milan Ier. Le bandeau bleu porte la date de création du royaume, le 22 février 1882. Le ruban est rouge à bandes blanches/bleu ciel.
Les fabricants sont les mêmes que pour l’ordre de Takovo.
En 1903, au retour de la dynastie Karageorgevich, l’ordre est conservé en l’état sous réserve de modifications mineures fixées par le règlement du 24 novembre 1904 :
- suppression du monogramme de Milan 1er remplacé par la date 1882 (création du royaume)
- suppression de la date du 22 février 1882 sur le bandeau bleu.
Le premier conflit mondial va avoir deux conséquences : d’une part, la création le 28 mai 1915 de l’ordre de l’Aigle Blanc avec épées pour services rendus par les officiers en temps de guerre, et d’autre part, l’éviction des fabricants autrichiens et bavarois au profit d’Arthus Bertrand (Paris), Huguenin (Le Locle, Suisse), puis Fran Sorlin (Varazdin, Croatie).
III. L’ordre de Saint-Sava
L’ordre de Saint-Sava a été créé par le roi Milan 1er le 23 janvier 1883, le même jour que l’ordre de l’Aigle Blanc, pour récompenser plus particulièrement les mérites culturels - éducation, littérature, religion et beaux arts -. Durant la Première Guerre mondiale, il sera également décerné à des militaires. Selon le règlement de 1883 sur les ordres et médailles, il est au troisième rang après l’Aigle Blanc et la croix de Takovo.
Il se présente sous la forme d’une croix de Malte émaillée bleu et blanc, les branches sont cantonnées de l’aigle bicéphale, le tout surmonté de la couronne royale. Au centre de l’avers, un médaillon ovale représentant Saint-Sava bénissant, avec la légende « PAR SON LABEUR SURMONTE TOUT ». Au revers, le monogramme de Milan 1er. Le ruban est blanc à bande bleu ciel. Il se compose de cinq classes. On note qu’il existe plus d’une vingtaine de variantes du médaillon de Saint-Sava (notamment la couleur de la robe) ; elles n’ont aucune signification particulière sinon la fantaisie des nombreux fabricants qui sont les mêmes que ceux des ordres de 1’Aigle Blanc et de Takovo.
En 1903, le roi Pierre 1er conserve l’ordre de Saint-Sava, se contentant de remplacer le monogramme de Milan 1er par la date de 1883, fondation de l’ordre.
Là encore, le premier conflit mondial va entraîner l’éviction des joailliers autrichiens et bavarois au profit d’Arthus Bertrand, Huguenin et Sorlini.
IV. L’ordre du prince Lazare
L’ordre du prince Lazare a été créé le 8 avril 1889 durant la régence d’Alexandre 1er pour commémorer le 500e anniversaire de la bataille du Champ des Merles (Kosovo) et la mort du prince Lazare. À dire vrai, il s’agit plus d’un insigne de fonction, fonction toute particulière puisqu’il est le symbole de la royauté au même titre que la couronne, le sceptre ou la main de Justice. Il s’agit donc plus d’une regalia. Exclusivement destiné au roi et au prince héritier, il a une classe unique et n’a existé qu’en deux exemplaires.
Il se compose d’un collier dont les maillons alternés représentent, l’un l’aigle bicéphale et l’autre, un trophée militaire. La croix représente : à l’avers le portrait du prince Lazare avec les dates 1389 – 1889, et au revers : l’inscription «Prince Lazare». Les colliers furent fabriqués par Nicholaus et Duckner à Hanau (Allemagne).
Au printemps 1941, lorsqu’il quitte Belgrade pour l’exil du fait de l’invasion allemande, le roi Pierre II laisse derrière lui les deux colliers. Du 6 au 9 avril 1941, Belgrade est sous le feu d’un bombardement d’une extrême violence (17.000 morts en trois jours) et il s’ensuit des destructions et des pillages. Il est vraisemblable que les colliers ont alors disparu sous les décombres, ou ont été volés. Ce qui est certain, c’est qu’ils ne sont jamais réapparus. Ces colliers nous sont néanmoins connus par les nombreux tableaux et photographies des souverains Alexandre 1er, Pierre 1er, Alexandre 1er Karageorgevich et Pierre II. Ils nous sont également connus par les dessins de son créateur Mihailo Valtrivic.
V. L’ordre de Milosh Le Grand
L’ordre de Milosh Le Grand a été créé à Nich le 1er décembre 1898 par le roi Alexandre 1er à l’occasion du 40e anniversaire du retour du prince Milosh. Il était destiné à récompenser les services rendus à la dynastie Obrenovich. Aux termes du règlement du 21 juillet 1899, il présentait la particularité de n’avoir que quatre classes, le roi en étant le Grand Maître.
L’ordre se présentait sous la forme d’un médaillon ovale surmonté d’une couronne dans le goût byzantin. À l’avers, il représentait un médaillon avec buste en uniforme du prince Milosh. En chef, le monogramme du prince Milosh, en pointe, un aigle prenant son envol et l’inscription « Dimanche des Rameaux - 1815 « (date du soulèvement de Takovo). Au revers figure le drapeau de Takovo flottant sur fond de soleil levant, en chef l’inscription «Milosh Le Grand «, avec en pointe, le monogramme d’Alexandre 1er et la date 1898. Le ruban est bleu ciel.
Les fabricants sont le Viennois Fleishacker et le Bavarois Leser sur un projet de Mihailo Valtrovic.
L’ordre de Milosh ne survivra pas à la mort du roi Alexandre 1er en 1903.
On en vient maintenant aux ordres des Karageorgevich
VI. L’ordre de l’Étoile de Karageorge
Le 12 juin 1903, deux jours après la mort d’Alexandre 1er et de son épouse Draga, Pierre 1er Karageorgevich est désigné roi de Serbie.
Rapidement, il se préoccupe de créer un ordre qui soit propre à sa dynastie. Très symboliquement, c’est de la ville de Topola, berceau des Karageorgevich et lieu de la première insurrection de 1804, que le roi Pierre 1er décide de créer l’ordre de l’étoile de Karageorge destinée à rappeler le centenaire du soulèvement et à récompenser les services rendus au roi et au pays en temps de guerre comme en temps de paix
L’ordre se présente sous la forme d’une croix émaillée de blanc. Au centre de l’avers, un médaillon central porte les armes de la Serbie avec une légende circulaire émaillée bleu « FOI ET LIBERTÉ – 1804 ». Au revers, l’aigle bicéphale (couronné ou non couronné) avec l’inscription « Pierre 1er – 1904 ». L’ordre comprend quatre classes.Le ruban est rouge à bande blanche.
À deux reprises, l’ordre de l’Étoile de Karageorge va être modifié ou plus exactement décliné :
- tout d’abord en 1912, avec la création de l’ordre avec épées. Le 20 octobre 1912, lors de la Première Guerre balkanique, est en effet institué l’ordre avec épées destiné à récompenser les officiers pour bravoure en temps de guerre. La croix est identique, mais cantonnée de deux épées croisées entre les branches.
- ensuite en mai 1915, avec la création d’une croix avec épées pour sous-officiers et soldats. L’aspect est celui de la croix de Karageorge avec épées si ce n’est qu’elle n’est pas émaillée. Il existe deux classes : or (croix en bronze doré à rayon argent) et argent (argenté à rayon doré). À l’avers, l’inscription « pour la bravoure ». Au revers, et à l’identique de la Croix de guerre française, les dates 1914/1916, 1914/1917, 1914/1918. Le ruban rouge peut être orné d’une palme.
VII. l’ordre de la Couronne de Yougoslavie
En 1929, le roi Alexandre 1er devient roi de Yougoslavie (Pays des Slaves du sud). C’est en commémoration de l’unification et de la libération du royaume qu’il crée le 5 avril 1930 l’ordre de la Couronne de Yougoslavie destiné à récompenser les services rendus au roi, à la patrie, pour l’État et l’unité nationale.
La croix, d’une forme peu banale, est dessinée par le chancelier des ordres royaux Georges Charapich. Au centre, le médaillon porte à l’avers la couronne de Yougoslavie, et au revers le monogramme d’Alexandre 1er et la date du 3 octobre 1929 (date de création du royaume). Il existe deux modèles de cette distinction : un premier modèle avec une croix sans couronne de laurier, un deuxième modèle avec une croix avec bélière en forme de couronne de laurier. Le ruban est bleu. L’ordre se compose de cinq classes.
Les fabricants sont Arthus Bertrand, Huguenin, et Sorlini.
L’abolition de la monarchie et la proclamation de la République le 25 novembre 1945 ont ouvert une nouvelle page de l’histoire yougoslave. Nouveau régime, et donc nouvelles décorations désormais très typées « Démocratie populaire », à l’esthétique moins traditionnelle. Néanmoins, la République, soucieuse d’honorer les anciens combattants, autorisa le port de l’Aigle Banc et de l’Étoile de Karageorge.
Le roi Pierre II n’avait pas abdiqué. Vivant en exil, il avait continué jusqu’à sa mort en 1970 à récompenser les fidèles de la cause monarchique.
Depuis lors, la Yougoslavie a éclaté en plusieurs républiques indépendantes ayant chacune leurs propres récompenses.
Le roi Alexandre II de Serbie est désormais le chef de la maison royale. De retour à Belgrade, il jouit d’une grande popularité. Sur des photographies récentes, il n’est pas rare de le voir porter la grand-croix de l’Aigle Blanc ou celle de Karageorge, tandis que son épouse porte celle de Saint-Sava.
Ainsi, et d’une certaine façon, les ordres royaux de Serbie et de Yougoslavie ont survécu aux bouleversements de l’Histoire.
Bibliographie
Pavel CAR - Tomislav MUHIC, Serbian and Yougoslavian orders and decorations
from 1859 to 1941, Wien, Verlag Militaria, 2009
The Orders, Medals and History of the kingdom of Serbia, Prince Dimitri Romanoff,
Rungsted Kyst, Balkan Heritage, 1996
Brasier et Brunet, Les Ordres serbes, Paris, Actualités diplomatiques et coloniales, 1902
Werlich, Orders and Decorations of all nations, Washington, Quaker Press, 1974