Macdonald, jeune général commandant en chef de l’armée de Naples
Patrice Grelet
Régisseur des collections du musée de la Légion d’honneur
Le musée national de la Légion d’honneur conserve un portrait inédit du général Macdonald dessiné par Ursule Boze (inv.06874). Cette oeuvre, entrée dans les collections en novembre 1974, est un des tout premiers dons1 faits au musée par la Société des Amis, créée depuis quatre ans.
Ce grand dessin au crayon noir rehaussé de craie blanche sur papier bistre (64 x 43cm) représente Macdonald (1765-1840), jeune, en uniforme de général, debout devant un paysage napolitain. Il tient dans sa main droite une carte sur laquelle on lit les mots « GOLFO DI NAPOLI » et dans sa main gauche un glaive à la romaine de général commandant en chef, du modèle de l’An VI (7 avril 1798)2.
L’œuvre peut donc être datée précisément après le 27 février 1799, lorsque Macdonald prit possession de son nouveau commandement. Il avait été, en effet, nommé le 25 pluviôse An VII (13 février 1799) commandant en chef de l’armée de Naples à la place du général Championnet3.
Ce dessin est l’occasion d’évoquer le rôle de Macdonald à Naples pendant la république parthénopéenne4.
Le jeune général avait été envoyé en Italie le 11 juillet 1798 pour exercer un commandement à Rome, où il prit la place du général de Gouvion de Saint Cyr. L’armée d’Italie était alors divisée depuis février 1798 en armée d’Italie et armée de Rome ; cette dernière placée le 18 octobre 1798 sous le commandement du général Jean-Étienne Championnet qui avait fait ses preuves à la campagne du Rhin. Macdonald disposait de 12.000 hommes, dont 6.000 à Rome à un moment critique ; le roi de Naples, poussé par les Anglais, voulait chasser les Français du sud de la Péninsule et mettait en marche vers Rome le 23 novembre 1798 une armée de 70.000 hommes sous le commandement du général Mack. D’après les souvenirs du maréchal Macdonald, « le général en chef entra en négociation pour l’évacuation de la capitale et se retira me laissant tout l’embarras de la retraite ». Une révolte à Rome éclata après le départ de Championnet. Macdonald, après avoir approvisionné le château Saint-Ange et pris des dispositions pour les malades laissés sur place, quitta aussi Rome en assurant ses amis et partisans qu’il serait de retour sous 15 jours. Il se retira entre Monterosi et Civita.
Fidèle à sa promesse Macdonald sera de retour à Rome le 14 décembre 1798 après avoir combattu victorieusement et facilement les troupes du général Mack pourtant bien supérieures en effectif, le 5 décembre 1798 à Civita Castellana. Il connaîtra alors une animosité grandissante de la part du général Championnet, mal entouré et jaloux de ses victoires. Les rapports entre les deux hommes s’envenimèrent et Macdonald écrivit au Directoire pour manifester son mécontentement et offrir sa démission. Malgré tout, il se dirigea avec sa division vers Naples après qu’un énième armistice fut violé : les habitants de Naples s’étaient révoltés, la ville était aux mains des lazzaroni, les troupes désarmées ; le général Mack démissionna et demanda à regagner l’Autriche. Sa demande fut acceptée et il fut arrêté à Ancône par les Français.
Le 23 janvier 1799, Naples se rendit. C’est seulement quand le fort Saint-Elme fut pris que la ville retrouva son calme. Le parti républicain l’emporta et la République parthénopéenne fut proclamée par le général Championnet, commandant en chef l’armée de Naples du 24 janvier au 27 février, date à laquelle il est remplacé par Macdonald.
Un tableau d’Ernst Theodor Amadeus Hoffman5 (1776-1822) Miracle de la liquéfaction de San Gennaro en mai 1799 sur le maître-autel de la cathédrale en présence des troupes françaises6 illustre un curieux épisode du séjour du jeune général en chef à Naples. Le bruit s’était répandu que saint Janvier ne ferait point son miracle pour punir la ville de Naples d’avoir fait confiance aux républicains et aux troupes françaises. La tension était grande et arriva à son comble le premier dimanche de mai où devait avoir lieu la cérémonie. Macdonald qui assistait à la célébration, avec son étatmajor, mesurait bien l’ampleur du mécontentement grandissant de la foule.
Le miracle se faisant attendre, comme le tumulte était à son comble, il envoya son aide de camp avertir le chanoine qui officiait que si dans dix minutes le sang n’était pas liquéfié, il serait passé par les armes ; cinq minutes plus tard, le miracle se réalisait ! Vrai ou faux, cet épisode assez cocasse sera repris et raconté avec talent par Alexandre Dumas dans Le Corricolo7.
En 1799, une deuxième coalition prit forme regroupant la Russie, l’Autriche, la Grande-Bretagne, la Turquie et les troupes du Roi Ferdinand Ier des Deux-Siciles. Elle se dirigea vers le sud avec des effectifs bien supérieurs à ceux de l’armée française. Macdonald reçut l’ordre d’abandonner le royaume de Naples pour remonter vers le nord rejoindre l’armée d’Italie mise à mal par Souvorov à la tête des armées alliées. Après une marche remarquable passant par les états pontificaux et la Toscane, il arriva au débouché des Apennins, mais ne put coordonner sa politique d’action avec celle de Moreau. Il écrivit au Directoire pour offrir sa démission et suggérer un regroupement des deux armées sous le commandement de Moreau. Faute de réponse de Paris, il prit l’initiative de couper les lignes de communication de Souvorov. Battu par Souvorov à la Trebbia (17-19 juin 1799), il entama le lendemain une retraite vers Gênes d’où, malade et mal remis de ses blessures, il partit pour Paris. Enfin, le gouvernement français nomma un nouveau général en chef, Joubert, pour remplacer Moreau à l’armée d’Italie ; celle de Naples fut supprimée, réunie à l’autre, et je reçus l’autorisation tant désirée de rentrer en France8.
Il reçut alors l’ordre de prendre le commandement de Versailles. Il sera ainsi en mesure de seconder Bonaparte dans son coup d’État du 18 Brumaire… Il retournera en Italie au service de Naples en 1807 puis à l’armée d’Italie en 1809. Il deviendra maréchal le 12 juillet 1809 après s’être couvert de gloire à Wagram, le 6 juillet 1809.
Faisons une parenthèse sur l’artiste Ursule Boze (1771-1850). Elle est la fille de Joseph Boze (1745-1826), portraitiste réputé sous l’Ancien Régime dont le succès avait été mis à mal par la Révolution et le nouveau pouvoir. Il était passé de mode, laissant la place à des artistes comme David, Robert Lefebvre, François Gérard, Isabey. Le manque d’argent avait mis la famille dans un dénuement inquiétant. Ursule aide son père à la réalisation de portraits de militaires, généraux et ambassadeurs à Paris. Elle prend rapidement son indépendance en perpétuant la tradition familiale et en faisant connaître son travail par le dessin et la gravure : ainsi, en janvier 1797, elle dessine un portrait du général Lazare Hoche (1768-1797)9. Ce dernier en fût si satisfait qu’il écrivit Tous les gens parlent de moi sans me connaître que je veux absolument, Monsieur Boze, que mon excellent dessin soit gravé. Le dessin fut gravé par Pierre-Charles Coqueret (1761-1832) et diffusé dans le Journal de Paris du 17 nivôse an IV (6 janvier 1798)10. Ursule se fait une spécialité des portraits de généraux dont certains soutiennent sa famille, tels le général Berthier gravé par Coqueret et Lachaussée. Le portrait en pied du général Macdonald, d’une composition très proche, fut quant à lui gravé par François Maradan en 1800. Cette gravure a servi de modèle pour un portrait resté dans la famille du maréchal11 dont la composition est très similaire. Macdonald est représenté devant le golfe de Naples, mais tenant cette fois-ci son bâton de maréchal. Le 15 août 1809, il avait obtenu une dotation de 60 000 francs de rente annuelle sur Naples.
Dans ses épreuves la famille connaîtra d’autres péripéties : à la demande de Napoléon Ier, La famille Boze, installée au Louvre comme tant d’artistes depuis le XVIIe siècle, devra déménager malgré l’appui de Macdonald12. Elle s’installera en 1802 dans un « vaste atelier » de la Sorbonne, puis en 1821 dans un appartement au n° 8 de la rue Royale.
Au musée du Louvre se trouve un portrait d’Ursule Boze, épouse Lejean, avec ses filles Eulalie et Cécile, par Jean-Antoine Laurent (1763-1832), peint en 1814.
Le beau dessin d’Ursule Boze nous offre, à la fin du Directoire, l’image officielle d’un jeune général promouvant les ambitions d’un nouveau régime. Quelques années plus tard, la salle des maréchaux des Tuileries sera composée, sur commande impériale, de grands portraits en pied dans le même esprit.
Rallié à Louis XVIII en 1814, Macdonald sera nommé grand chancelier de la Légion d’honneur après les Cent Jours, le 2 juillet 1815. Il prend en main la restructuration de ce qui devient l’ordre royal de la Légion d’honneur. On lui doit l’ordonnance organique du 26 mars 1816, texte fondamental en 72 articles dont beaucoup sont encore pertinents. Il s’attache à préserver le prestige de l’ordre à un moment où les ordres royaux sont rétablis.
Sa grand-croix de la Légion d’honneur est conservée au musée13 ; elle l’a accompagnée tout au long de sa carrière, depuis sa nomination de grand aigle le 14 août 1809 jusqu’à sa mort sous la Monarchie de Juillet14.
Nommé chevalier du Saint-Esprit le 30 septembre 1820 il est le seul grand chancelier de l’histoire a en avoir arboré les insignes. Le musée expose, toujours grâce à la Société des Amis qui lui en a fait don en 2006, deux portraits de Macdonald grand chancelier15, l’un portant la Légion d’honneur, l’autre le Saint-Esprit. Ces deux œuvres complètent parfaitement l’iconographie de ce maréchal d’Empire qui passa 10 ans au service de l’ordre avant de demander à être relevé de ses fonctions en 1830. Il partit de la grande chancellerie le 23 août 1831 et se retira dans son château de Courcelles-le-Roy où il mourut le 25 septembre 1840.
NOTES DE BAS DE PAGES
1 - Deux dons avaient déjà été faits en juin 1972 : plaque de dignitaire de l’ordre des Deux Siciles (inv. 06602) ; lettre de Madame Campan (06667).
2 - Le règlement du 20 thermidor de l’An VI (7 août 1798) donne à tous les généraux une épée de commandement dont la lame, pour les seuls généraux en chef, était gravée : « général commandant en chef ». Cette épée était en fait un glaive à l’antique dit « à la romaine » dessiné par Boutet et fabriqué à la manufacture de Versailles. Réservé à l’origine aux ministres et aux ambassadeurs, cette arme d’apparat fut très vite récupérée par les généraux comme épée de commandement. Le musée conserve le glaive du général Mermet (1772-1837), inv. 01704, attribué comme arme de récompense pendant le Directoire.
3 - Dans ses Souvenirs (Paris, Plon, 1910, p.67), le Maréchal Macdonald raconte : « Un courrier m’éveilla. Je parcours la dépêche et, à ma très grande surprise, je trouve ma nomination de général en chef de l’armée de Naples en remplacement du général Championnet. »
4 - Parthénopé est le premier nom de la ville de Naples fondée, d’après la légende, à l’endroit où la sirène Parthénope se jeta à la mer, désespérée de n’avoir pu charmer Ulysse.
5 - Ernst Théodor Amadeus Hoffmann (1776-1822) est aussi écrivain romantique, compositeur, dessinateur et juriste. Il est l’auteur de nombreux contes qui ont inspiré l’opéra d’Offenbach les contes d’Hoffmann, sur un livret de Jules Barbier et le ballet féerie de Tchaïkovsky,
Casse-noisette.
6 - Œuvre récemment acquise par la députation de la chapelle du Trésor de San Gennaro de Naples et exposée en 2014 au musée Maillol à Paris Le trésor de Naples, les joyaux de San Gennaro.
7 - Le Corricolo, 1843, chapitre 21, pp.285, 286. Dumas raconte l’épisode avec forces détails. Toutefois, il faut noter qu’il se trompe en confondant les généraux Championnet et Macdonald. En effet, Championnet avait été relevé de ses fonctions et remplacé par le général Macdonald dès le 27 février 1799.
8 - Souvenirs du Maréchal Macdonald, op.cité. p.112
9 - Versailles, musée Lambinet.
10 - BNF, département des estampes, collection Michel Henin, n°12.361
11 - Fontainebleau, vente Osenat, 2 décembre 2007, n° 300.
12 - Gérard FABRE, Catalogue d’exposition, Joseph Boze (1745-1826), portraitiste de l’Ancien Régime à la Restauration. 18 novembre 2004 – 20 février 2005. Musée Ziem, Martigues. Somogy éditions d’art, 2004 ; p.236
13 - Inv 03046, insigne longtemps déposé à Malmaison puis retiré par son propriétaire et acheté par un américain, John Reish, pour l’offrir au musée le 20 décembre 1932 à la demande du conservateur, Henri Torre. Un autre grand aigle attribué à Macdonald (provenance Massa et Carrara), est passé en vente publique à Fontainebleau. C’était aussi un bijou Biennais avec des centres du modèle empire mais une curieuse couronne probablement modifiée.
14 - Bijou de Biennais, transformé sous la Restauration (profil d’Henri IV, aigles de la couronne enlevés) puis sous la Monarchie de Juillet (drapeaux au revers et légende de l’avers). La légende du revers est par contre d’origine, bien caractéristique avec le motif de petites abeilles propres à l’orfèvre
15 - D’après Paulin-Guérin (1783-1855) Portrait de Mac Donald portant le grand cordon de la Légion d’honneur, inv. 09552, semblable au portrait signé daté 1817 conservé au musée des châteaux de Versailles et Trianon, offert par la duchesse de Massa en 1962 (inv. MV8190) et Portrait de Mac Donald portant le grand cordon du Saint-Esprit inv.09553. Ces deux portraits, achetés en vente publique à Fontainebleau le 11 décembre 2006, avaient une provenance familiale (héritiers de Maurice Déan de Luigné, dernier descendant du deuxième
duc de Tarente). A la même vente figurait aussi le grand portrait en pied du maréchal par Casanova. Les trois portraits semblaient provenir du château de Courcelles.