La « Croix de Malte » : du symbole à l’insigne (IVe-XXIe siècles)

 

 

Hugues Lépolard

Archiviste paléographe

 

La croix à huit pointes dite « croix de Malte » est d’un intérêt capital dans l’étude des décorations occidentales, autrement appelée phaléristique.

 

Sa désignation ordinaire de « croix de Malte » est le fruit d’une histoire complexe et particulièrement riche liée à celle de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, appelé aujourd’hui ordre de Malte, mais elle appellerait, à strictement parler, quelques nuances, car la croix à huit pointes au sens large est bien antérieure à cet Ordre prestigieux auquel elle est désormais associée.

 

L’iconographie montre en effet que la croix à huit pointes en usage dans cet Ordre n’était surtout, avant son installation à Rhodes en 1307-1309, qu’une croix à bras droits sans échancrure.

 

Elle quitta cependant assez vite après cette époque une forme pattée puis parfois légèrement échancrée, pour devenir, selon une chronologie que nous tenterons d’établir, cette croix aux branches bifides si caractéristique, dont l’usage croissant sur toutes sortes de supports (monnaies, sceaux, représentations figurées sur la pierre, la toile ou d’autres, insignes, etc.), permet de suivre l’évolution puis la fixation.

 

Cette croix, d’abord simple pièce de drap ou de toile cousue sur l’habit du XIe au XVIe siècle, fut ensuite doublée, comme nous le verrons, par le port simultané d’une croix identique dont le type était alors pratiquement fixé, sous la forme de pendentifs ou bijoux en métal émaillé, et qui connut une fortune essentielle dans le domaine des ordres de chevalerie.

 

La disparition de l’ordre déconsidéré du Temple, auquel l’ordre des Hospitaliers, fidèle lui à ses missions, succéda en France dans ses biens par une bulle pontificale de 1312, fit de ce dernier le principal ordre chevaleresque en Occident, et, dès le XVIe  siècle, par sa puissance et sa gloire militaire autant que par son recrutement, l’ordre de chevalerie par excellence.

 

Cette croix, devenue de ce fait l’emblème de l’esprit chevaleresque, a déterminé celles qu’adopteront, à l’exception du Saint-Sépulcre, tous les autres ordres chevaleresques de France (ordres royaux de Saint-Michel, du Saint-Esprit, de Saint-Louis, du Mérite militaire), et de l’Europe entière, où la quasi-totalité des croix d’ordres de chevalerie, des ordres royaux et princiers sont des croix de Malte.

 

Le XIXe siècle, avec les transformations dans l’organisation de l’Ordre, verra ces signes ou attributs se multiplier pour permettre de reconnaître ses diverses classes et, dans celles-ci, les grades de leurs possesseurs, selon des règles que le Souverain Conseil établira dans le dernier quart du XIXe siècle.

 

 

 

I. Les origines de la croix dite « de Malte » (IVe-XVIe siècles).

 

Des origines controversées.

 

L’association de la croix à huit pointes aux Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem, tardive, a occulté une origine et une tradition beaucoup plus anciennes, liées selon nous à l’évolution de la croix chrismée.

 

Les origines de la croix à huit pointes dite « de Malte », en dépit de quelques rares études qui, depuis l’article pionnier de la regrettée Claire-Eliane Engel (« Les origines de la croix de Malte », dans Historia, n° 322, septembre 1973), ont quitté le domaine de la légende pour les faits positifs, mais n’ont été que peu discutées, et la bibliographie est mince, malgré l’intérêt de la question.

 

Il semble cependant qu’il faille exclure l’hypothèse si séduisante de Mlle Engel, qui, à partir d’un exemple de pierre gravée antique vue au Liban, près de Tyr, attribuait une influence excessive sur les croisés de Terre sainte du signe phénicien de la déesse Tanit.

 

Ses origines prêtent pourtant à équivoque et débats, et le type dit de la croix de Malte met plusieurs siècles à se fixer définitivement, jusqu’aux décrets du Souverain Conseil de l’ordre de Malte, au début du XXe siècle.

 

La constitution d’un corpus iconographique, travail patient et difficile que l’auteur a entrepris, permettra très certainement de dégager plus finement les influences et les hésitations dans la genèse de ce qui est aujourd’hui la croix de Malte telle que nous la connaissons.

 

La nature des sources a évolué au fil des siècles : principalement stèles, sceaux, manuscrits à décor, pierres tombales pour la période la plus reculée ; monnaies, monuments, portraits, insignes, pour l’époque moderne, conservés dans des collections privées, mais surtout publiques, comme celles du musée de la Légion d’honneur ou, à Londres, celles du Saint John’S Gate Museum.

 

L’hypothèse particulièrement féconde d’une origine liée à une évolution de la croix potencée a été avancée, non sans nuances, par d’aussi éminents auteurs que MM. Adrian Strickland et Hervé Pinoteau, rejoints par M. Bertrand Galimard Flavigny.

 

Pourquoi ne pas songer plutôt à celle de la croix chrismée, dérivée du chrisme de Constantin ?

Fig. 2 Pièce de trois taris en argent frappée sous le magistère de Jean de la Valette-Parisot 11557-1568), collection musée de la Légion d'honneur.
Fig. 3 Procès-verbal de réception dans l'ordre de Malte (parchemin enluminé, 1589), collection musée de la Légion d'honneur, don Michel de Pierredon, 1931.

L’imitation de la « croix de Constantin » nous semble ainsi plus vraisemblable : son étude est encore une fois en cours par l’auteur, mais il est indéniable que des pièces d’orfèvrerie, réalisées d’après la déformation du chrisme ou croix apparue miraculeusement en songe à Constantin à la veille de la bataille du pont Milvius (313) et décrite par Lactance et, surtout, Grégoire de Naziance, ont exercé une influence incontestable sur les représentations de la croix dans l’Empire byzantin, et de là sur le reste du monde chrétien, tel que la Gaule, dont certains sarcophages conservés au musée Carnavalet ou au musée d’archéologie nationale de Saint-Germain-en-Laye, ou bien encore l’hypogée des dunes, près de Poitiers, par exemple, présentent notamment une croix bifide très échancrée.

 

Remettons à plus tard l’évocation de ces origines complexes et de ces influences dans  la genèse de cette croix, et résumons simplement la double origine de cette croix à huit pointes d’abord pattée, adoptée aux XIe-XIIe siècles par les ordres religieux bientôt militaires venus en Terre sainte :

  • l’origine première, byzantine, qui s’est répandue dans l’Empire byzantin avec la propagation du christianisme, et, avec lui, en Cappadoce, en Thrace, en Macédoine, et, de là, dans le monde slave, puis dans le Moyen-Orient et en Égypte, dans le christianisme non byzantin, c’est-à-dire syrien, chaldéen ou copte,
  •  son adoption comme symbole dans le royaume d’Arménie.

 

Les ordres religieux militaires hospitaliers et la Terre sainte.

 

On peut en tout cas supposer leur influence sur l’esprit des pèlerins arrivés en Terre sainte, et sur celui des ordres religieux hospitaliers, d’emblée (ordre du Temple, majorité des ordres espagnols) ou bientôt militaires (ordres de Saint-Lazare et, surtout de Saint-Jean-de-Jérusalem), qui, à leur arrivée, ont rapidement dû choisir un emblème qui permît de reconnaître leurs membres en des pays où la majorité des habitants, quels que fût leur religion ou leur parti, portaient uniformément des vêtements blancs, noirs ou bruns.

 

Ces croix chevaleresques, réservées aux membres profès, ont donc constitué un premier signe de reconnaissance, une marque forte d’engagement religieux rappelant la prestation des trois voeux solennels de pauvreté, chasteté et obéissance, une forme de compagnonnage, et, quand l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean-de-Jérusalem devint un ordre militaire dès le début du XIIe siècle, une préfiguration d’uniforme avant l’heure.

 

On ne dispose pas pour l’ordre des Hospitaliers de sources permettant d’émettre autant d’(incertaines) hypothèses sur le choix de cette croix que pour leurs frères rivaux du Temple : l’article 19 de la règle édictée par Raymond du Puy vers 1123- 1124 mentionne pour la première fois le port par les frères Hospitaliers d’une croix blanche cousue sur leur habit noir, mais nous ignorons tout de sa forme originelle : quelle a pu être à cet égard l’influence de la croix patriarcale attribuée par le patriarche Étienne de Jérusalem en 1128 aux templiers ?

 

Il faut cependant remarquer que la croix primitive de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem telle que différentes figurations nous la font connaître, était une croix à bras droits sans échancrure, et, qu’au fil d’une lente évolution, l’échancrure des bras s’est progressivement accentuée, pour prendre davantage, mais pas totalement, depuis la première moitié du XVe siècle, sa forme actuelle : il existe longtemps des traces de l’ancienne croix pattée, et l’échancrure n’est le plus souvent pas encore nettement droite, mais légèrement courbe.

 

C’est ainsi que cette croix, très longtemps utilisée concurremment avec les armes de l’ordre des Hospitaliers de Saint-Jean, apparaît pour la première fois, représentée sur l’épaule gauche du personnage à genoux, sur le sceau de Guérin de Montaigu (1207-1227), maître de l’ordre de l’Hôpital, conservé aux Archives nationales, à Paris. Encore la difficulté de lire ce sceau fait-elle matière à débat sur la forme exacte de cette croix.

 

Les premiers témoignages de l’usage de cette croix par les Hospitaliers.

 

Ce sont les monnaies que l’Ordre frappe depuis son installation à Rhodes en 1308-1309 et les Capitula Rhodi octroyés vers 1310, sous le règne de Foulques de Villaret, monnaies par lesquelles il entendit remplir son rôle de seigneur d’un territoire souverain aux multiples intérêts commerciaux, qui les premières ont « officiellement »

figuré cette croix, en donnant à ses branches une forme d’abord pattée, puis parfois largement échancrée.

 

Le premier exemple authentique d’une croix de l’Ordre ressemblant grosso modo à sa forme actuelle paraît être celui qui figure sur le manteau du grand maître Pierre de Corneillan, mort en 1355, dont la pierre tombale est conservée à Paris, au musée de Cluny.

 

Le motif court ensuite sur d’autres tombeaux, comme celui d’un commandeur du XVe siècle, conservé au musée Granet à Aix-en-Provence, exposé au château de Versailles en 1961 et reproduit dans le catalogue (n° 43).

 

On connaît cependant des cas de croix pattées sans échancrure jusqu’à la deuxième moitié du XVe siècle, parfois même au-delà.

 

Il convient donc de faire justice de l’interprétation tardive et certainement abusive selon laquelle une croix à huit pointes semblable à celle que nous connaissons aujourd’hui, aurait été de toute antiquité celle de l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem, comme de l’idée postérieure selon laquelle ce motif aurait été choisi, là aussi de toute

antiquité, pour évoquer les Huit Béatitudes rapportées par Luc (6, 17-23) et Mathieu (5, 1-12) : cette idée est née d’un passage des anciens statuts (tit.I, coutume 2, 2e alinéa) de l’Ordre qui, selon Delaville le Roulx, est une addition qui ne saurait être antérieure à la seconde moitié du XVe siècle.

 

Aussi tardive paraît l’idée que ces huit pointes correspondraient aux huit langues, ou divisions territoriales (Provence, Auvergne, France, Italie, Aragon-Navarre, Castille, Léon-Portugal, Angleterre et Allemagne) dont étaient originaires les chevaliers.

fig. 1 Grande croix de Malte (XVI. siècle), collection musée de la Légion d'honneur, don Michel de Pierredon, 1926.

 

Mieux vaut constater que la croix apparaît clairement sous sa forme actuelle sur des portraits du dernier quart du XVe siècle et du commencement du XVIe siècle : Le Baptême, de Jean Bellini (v.1428-1516) ; le portrait en fresque à la cathédrale de Sienne du chevalier Alberto Aringhieri, représenté agenouillé en coule(3), la croix de profession en étoffe visible sur le côté gauche, sans autre collier, par le Pinturicchio (1454-1513) ; L’Exhumation de saint Jean de Jean de Haarlem (1465 ?-v.1493) ; et un portrait d’un chevalier de Malte, traditionnellement attribué au Titien (1473-1516) ou à son école, conservé au musée du Louvre.

 

La meilleure iconographie est cependant très certainement fournie tout au long des miniatures du manuscrit de la relation du siège de Rhodes en 1480 par le chancelier Guillaume Caoursin, offert au grand maître Pierre d’Aubusson et conservé aujourd’hui à la Bibliothèque nationale de France.

 

Deux insignes, affectant la forme d’un pendentif sont attribués à cette période : l’un conservé dans une collection particulière et présenté à l’exposition La Provence et l’Ordre de Malte (Marseille et Gap, 1981, n° 44 du catalogue), il aurait appartenu à l’un des grands maîtres de l’Ordre à l’extrême fin de l’occupation de Rhodes (début du XVIe siècle), l’autre, conservé dans les collections du musée de la Légion d’honneur est (estime-t-on) le plus ancien connu.

 

Encore cet unicum paraît-il n’être qu’un bijou plutôt qu’un insigne religieux régulier, mais c’est peut-être l’amorce de ce qui deviendra beaucoup plus tard, sous l’influence des grands ordres de chevalerie princiers et laïques, le collier du grand maître.

 

II      L’installation de l’Ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem à Malte (1530-1798) : Affermissement du type de la croix et apparition de l’insigne.

 

Les premières figurations des croix de l’Ordre.

 

La période de l’installation de l’Ordre à Malte, à partir de 1530, marque une évolution nette du type et de l’usage de la croix à huit pointes au sein de celui-ci : la forme de cette dernière prend alors nettement celle que nous lui connaissons.

 

Le port de la croix cousue sur l’habit, que nous savons grâce aux textes n’être portée que par les Hospitaliers et Hospitalières de l’Ordre, autrement dit les chevaliers et les religieuses de choeur, et, sans que cela soit dit, très certainement aussi par les chapelains, persiste en effet.

 

La croix de profession, d’autre part, se transpose, à l’instar des grands ordres chevaleresques (Toison d’Or, Saint-Michel, etc.), sur le plastron de l’armure des chevaliers.

 

En raison de l’impossibilité matérielle d’arborer un pendentif sur les cuirasses, les chocs répétés et les frictions contre celles-ci ayant tôt fait de détruire les émaux de la croix, on peut supposer que de nombreux chevaliers de Malte portant cuirasse au XVIIe  ou au XVIIIe siècle ont en effet fait placer sur leur plastron une figuration gravée de leur sautoir, qui supportait l’image de la croix, comme cela se pratiquait pour les ordres de Saint-Michel ou de la Toison d’or (le musée de l’Armée possède plusieurs de ces colliers factices sur certaines armures, mais hélas ! aucune figuration de la croix de Malte en sautoir, au contraire de ce dont témoignent quelques spécimens du Saint John’Gate ou de plus nombreux portraits, où on peut la voir peinte, gravée ou repoussée).

 

La création ou la régularisation de nouvelles classes de chevaliers ou de novices (chevaliers de grâce, frères servants d’armes, croix de pages et de minorité), la modernisation des structures militaires de l’Ordre et de sa hiérarchie militaire, ainsi que l’influence des modes occidentales et des ordres français de chevalerie ont cependant fait apparaître de nouveaux types d’insignes dans l’Ordre au XVIIe siècle, qui se multiplient

au XVIIIe siècle.

 

Apparition et usage des insignes de l’Ordre.

 

On voit ainsi, depuis la fin du XVIe siècle, la croix de chevalier profès être de plus en plus souvent réalisée sous la forme d’un pendentif porté en sautoir, soit par une chaînette, soit par un collier ou un lacet d’étoffe, parfois rouge ou blanc, ou de cuir de couleur variable, avant l’adoption du ruban noir après la mort de Louis XIV.

 

On trouve l’explication de cette pratique dans le fait que les chevaliers profès servent de plus en plus souvent hors du couvent, dans les armées de leur choix : ils ne portent  donc plus le costume religieux, mais les vêtements de leur condition sociale et professionnelle. Ce pendentif n’est pas porté sur le costume de choeur ni sur la soubreveste, où les croix traditionnelles d’étoffe sont conservées, ainsi que le montre l’iconographie jusqu’aux approches de la fin du XVIIIe siècle.

 

Des croix pendentifs ou insignes apparaissent aux XVIIe-XVIIIe siècles, liés à l’apparition, au début du XVIIe siècle, des nouvelles catégories de chevaliers au sein de l’Ordre (chevaliers de grâce, de minorité et pages), ainsi qu’à la distinction qui s’opère entre petites et grandes croix au niveau des insignes, les uns portés en sautoir et les autres en écharpe, mais toutes ces croix étant, à l’exemple des croix de Saint- Louis, au moins dans les zones des trois langues françaises, anglées de fleurs de lys, le ruban du sautoir et de l’écharpe semblant avoir été très vite de soie noire, à l’instar du fonds du costume de choeur.

 

C’est au cours de ce même XVIIIe siècle qu’apparaissent la couronne d’or surmontant la croix, ainsi que le trophée, ou le noeud placé au-dessus.

 

La synthèse apparaît au cours du XVIIe siècle, mais surtout à partir du XVIIIe siècle, quand les tableaux montrent un même personnage membre de l’Ordre revêtu d’un habit civil ou militaire non maltais, portant deux croix de Malte, l’une de profès, l’autre grande ou petite : l’exemple le plus révélateur est celui du buste de Suffren, conservé au musée de l’Armée, où, à droite de ces deux insignes, figurent une croix de Malte anglée de fleurs de lys et timbrée d’une couronne fermée que somme un anneau dans lequel passe un ruban de soie analogue par ses dimensions à celui de Saint-Louis et descendant d’une boutonnière de l’habit : c’est là une croix de commandeur ou de bailli.

 

Fig. 4 Croix inscrite dans un médaillon et surmontée d'un trophée, et réduction de chevalier (XVIIIe siècle), collection musée de la Légion d'honneur, don Michel de Pierredon, 1931, et don Claudius Cote, 1936.

 

Il est à noter, enfin, que deux grands maîtres de l’Ordre, au contraire des pratiques des chevaliers, ont porté des armures dépourvues tant de la croix de profession que de la croix en sautoir, comme en témoignent le corselet à l’antique qui appartint à Jean d’Omedes (1536-1555), conservé au musée de l’Armée (Inv. N° PO 742) et qui

ne porte qu’un médaillon écartelé de la Religion et d’Omedes, ou le portrait d’Alof de Wignacourt, peint par le Caravage vers 1607-1608 et conservé au Louvre, où ce grand-maître ne porte ni croix de profession (peinte ou gravée) sur la cuirasse, ni collier ou pendentif, réel ou simulé.

 

L’absence de croix sur les armures de ces deux grands maîtres n’est sans doute pas marque d’indifférence à l’égard des signes de l’Ordre, mais peut s’expliquer par l’habitude qu’avaient ces personnages de passer normalement par-dessus leur harnois la soubreveste de la Religion, sans pendentif sur celle-ci.

 

 

III.  La croix et l’ordre de Malte depuis le XIXe siècle

 

Après la perte de Malte et les décisions des congrès internationaux du début du XIXe siècle quant au sort de l’île, une longue période s’ouvrit, vide pour la phaléristique.

Le réveil de l’Ordre et son adaptation à de nouvelles circonstances entraînèrent de grandes réformes dans le statut canonique des membres, d’où l’éclosion d’une réglementation précise de la forme des insignes et de leur port.

 

Depuis les décrets du Souverain Conseil des 20 mars 1878, 28 février 1889 et 23 décembre 1907, et les décisions du même Conseil en date des 31 mars 1879 et 20 juin 1882, les divers insignes se trouvent réglés en rapport avec les diverses classes et catégories de membres nouvellement institués.

 

La croix à huit pointes se maintient toujours sur les habits de choeur, mais cette croix octogonale d’étoffe connaît maintenant plusieurs formes, selon qu’elle désigne des chevaliers profès, des chevaliers d’honneur et de dévotion, des chevaliers de grâce magistrale, ou des donats. Les insignes émaillés, en pendentif, sont portés concurremment avec la croix de profession d’étoffe sur la coule, sur la tenue militaire de l’Ordre, éventuellement en barrettes ou réductions sur le vêtement civil de soirée.

 

La croix de donat a, elle aussi, une origine légendaire dans l’Ordre, mais semble avoir

repris la forme du tau4, ou croix de Saint-Antoine, origine encore mal connue qui mériterait une étude particulière.

 

Aujourd’hui, la définition de la croix de Malte est une croix inscrite dans un octogone, les lignes intérieures formant un carré aux côtés égaux à ceux de l’octogone.

 

 

 

 

 

 

Fig. 5 Insigne de chevalier et de dévotion de l'ordre de Malte, vermeil et émail, dépôt du bailli Géraud de Pierredon au musée de la Légion d'honneur, 1974.

 

NOTES DE BAS DE PAGES

 

3 - Coule (du latin cucullus) : vêtement à capuchon, aussi appelé cuculle, et utilisé dans la liturgie catholique.

 

4 - Tau, ou croix de Saint-Antoine : croix en forme de la lettre grecque tau (« T »), d’abord signe de l’ordre religieux hospitalier des chanoines réguliers de Saint-Antoine de Viennois, uni en 1776 à l’ordre de Saint-Jean-de-Jérusalem et disparu en 1803. Il est aujourd’hui celui des franciscains.