Dominique Henneresse
Le général de Gaulle était titulaire de nombreuses distinctions. Il était par exemple citoyen d’honneur de nombreuses villes, docteur honoris causa de l’Université de Bruxelles, président d’honneur de la société historique et ethnographique d’Athènes, président d’honneur de la bibliothèque Franklin D. Roosevelt à Hurtado (Chili), amiral de l’État-major de l’État de Louisiane, etc. Mais il était aussi titulaire de nombreuses
décorations, gagnées au front, remises lors de visites d’État, ou à d’autres occasions. Certaines ont été conservées par la famille, comme ses premières Légion d’honneur (il a été fait chevalier le 17/10/1919 et officier le 19/12/1934), ses croix de Guerre (18/01/1915, avec citation à l’ordre de la Division ; 02/10/1927, avec citation à l’ordre de l’Armée), sa médaille des évadés (12/10/1920), probablement sa croix de Ve classe de l’ordre militaire polonais Virtuti Militari (26/01/1922, croix n° 2980), et d’autres encore. Certaines ont été restituées aux États concernés à son décès, comme l’insigne de l’autorité en vallée d’Andorre (23/10/19671), l’ordre de l‘Éléphant du Danemark (05/04/1965), l’ordre du Lion d’or de Nassau du Luxembourg (01/02/1961), l’ordre de Saint-Olaf de Norvège (25/09/1962), l’ordre des Séraphins de Suède (28/05/1963), l’ordre de la Reine de Saba d’Éthiopie (1950 ?). Le rare collier du premier type de l’ordre de la Rose blanche de Finlande qui avait été décerné au Général le 24/10/1962 a été dans un premier temps restitué par la famille à son décès, mais l’ambassadeur de Finlande a offert ultérieurement un collier du second type au musée de l’ordre de la Libération. Le sort de l’imposant collier de classe exceptionnelle de l’ordre national du Mérite d’Équateur décerné au Général le 24/09/1964 n’est pas clair : selon certaines sources, il aurait été retourné volontairement par le Général à la suite d’un mouvement de mauvaise humeur de quatre généraux équatoriens2; selon une autre source, le collier du Général aurait été vendu aux enchères à Vienne (AT) le 23/09/2014 par la Galerie Numismatique sous le numéro 128 !
Presque tous les ordres ou médailles du Général ont été mis en dépôt par la famille au musée de l’ordre de la Libération. On y trouve ainsi 14 ordres et 11 médailles pour l’Europe, 12 ordres et 13 médailles pour l’Amérique du Nord et du Sud, 16 ordres et une médaille pour l’Afrique, 5 ordres pour l’Asie, 6 ordres pour le Moyen-Orient.
Pendant les travaux de rénovation du musée de l’ordre de la Libération, ces distinctions ont été conservées par le musée de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie. Les insignes de grand-croix de la Légion d’honneur, de grand-croix de l’ordre national du Mérite, ainsi que le collier de grand-maître de l’ordre de la Libération, ont été présentés au public dans le cadre de l’exposition consacrée au cinquantenaire de la création de l’ordre national du Mérite.
Parmi toutes les décorations du Général, celles qui lui ont été remises par l’État de la Cité du Vatican et par la basilique Saint-Jean-de-Latran à Rome font l’objet de cette étude.
Nul ne l’ignore : la France est réputée être « la fille aînée de l’Église », et le général de Gaulle un catholique fervent. À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le Général aspire à la reconnaissance du Gouvernement provisoire de la République française par S.S. le pape Pie XII. Il fait donc organiser une rencontre avec le pape. Le 29 mai 1944, il lui écrit3 pour lui « apporter … l’assurance du respect filial de notre peuple et de son attachement filial au Siège apostolique », en précisant que toutes les opérations militaires seront menées avec tout le respect dû « aux souvenirs les plus chers de notre foi chrétienne, ainsi qu’au patrimoine religieux, intellectuel et moral qu’ils représentent ». Cette missive est portée au cardinal Tisserant le 4 juin. Pie XII répond le 15 juin, en prônant la réconciliation entre les Français : « Aussi est-ce avec ferveur que Nous demandons à Dieu d’épargner à votre patrie ces troubles néfastes, d’éclairer ceux qui seront chargés de la conduire et de faire prévaloir, dans le coeur de tous, des sentiments, non de rancoeur et de violence, mais de charité et de réconciliation fraternelle. » On se souvient en effet que pour fêter la libération de Paris, le Général avait tenu à se rendre à la cathédrale Notre-Dame le 26 juin 1944 pour y chanter un Te Deum avec les chefs de la Résistance et le général Leclerc. Mais des dispositions avaient été prises pour que l’archevêque de Paris, le cardinal Suhard, considéré comme persona non grata, soit absent.
Le Général est reçu en audience au Vatican par Pie XII le 30 juin, en qualité de chef du Gouvernement provisoire. Mais ce n’est pas une visite officielle ; le contexte ne s’y prêtant pas non plus, le général ne reçoit pas de décoration particulière. Il quitte ses fonctions de chef du Gouvernement provisoire début 1947, à la suite de l’élection de Vincent Auriol comme président de la République.
Le 29 mai 1958 marque son retour au pouvoir : le général de Gaulle accepte de former le nouveau gouvernement, mais à condition de pouvoir porter un projet de réforme constitutionnelle soumis à référendum. Le 21 décembre, il est élu président de la République française et de la Communauté. Son premier voyage officiel sera pour l’Italie, du 23 au 26 juin 1959, à l’occasion des commémorations du centenaire des batailles de Solférino et de Magenta, et pour le Vatican, le 27 juin 1959.
Le Général connaît bien le cardinal Angelo Giuseppe Roncalli, élu pape le 28 octobre 1958 sous le nom de Jean XXIII. En 1944 en effet, le nonce apostolique du Saint-Siège en France – Mgr Valerio Valeri - veut venir présenter ses lettres de créance au nouveau chef du Gouvernement provisoire. Las, le Général refuse, arguant du soutien apporté par ce nonce au clergé français favorable au régime de Vichy. Pie XII décide alors de remplacer Mgr Valeri par Mgr Roncalli, alors délégué apostolique en Turquie. Du 22 décembre 1944 au 15 janvier 1953, lorsqu’il est créé cardinal et nommé patriarche de Venise, Mgr Roncalli aura à coeur de régler les nombreux conflits ou incompréhensions entre la France et le Saint-Siège : sort du clergé trop proche du régime de Vichy, question de la laïcité à l’école, prêtres ouvriers, etc. Le général de Gaulle noua avec ce francophile ouvert et diplomate des relations de haute estime.
Il le retrouve donc à Rome le 27 juin 1959, dans le cadre d’une visite d’État. C’est la deuxième d’un président français depuis 1871, après celle du président René Coty en 1957. De bonne heure le matin, le Général reçoit à la villa Bonaparte, siège de l’ambassade de France auprès du Vatican, Mgr Dell’ Acqua – substitut du cardinal secrétaire d’État - qui lui apporte les insignes de chevalier de l’ordre du Christ que S.S. le pape Jean XXIII vient de lui accorder. Le président a revêtu le spencer de général. Sur cette tenue, il a placé le collier et la plaque de l’ordre du Christ, ainsi que l’écharpe et la plaque de grand-croix de l’ordre national de la Légion d’honneur. Accompagné de son épouse, et de sa suite, le Général se rend alors en cortège officiel au Vatican. Il est accueilli dans la cour Saint-Damas par le marquis Sacetti, premier Majeur des sacrés palais apostoliques, et par Mgr de Vignali, Majordome de Sa Sainteté, tandis que gendarmes pontificaux, Garde palatine et Garde noble rendent leshonneurs. Après avoir traversé divers appartements, il est accueilli à l’entrée de la salle du Trône par S.S. Jean XXIII.
Le protocole est ainsi respecté. Lors des visites d’État, ou bien à d’autres occasions d’ailleurs, le Saint-Père ne reçoit jamais aucune décoration. Il reçoit par contre un cadeau. Ainsi, le général de Gaulle offrit à S.S. Jean XXIII une bible4 en parchemin du XIVe siècle, exécutée à l’origine à Naples pour un prince de la Maison d’Anjou. Mais un pape ne décore jamais personnellement non plus. Il charge ses cardinaux de le faire en son nom, à Rome ou dans le pays d’origine des personnes distinguées, selon les circonstances. L‘ordre du Christ qui a été remis au général de Gaulle est la plus haute distinction de l’État de la Cité du Vatican. Il a toujours été distribué avec parcimonie. Selon une étude du Dr Norbert Herkner publiée dans Orden und Ehrenzeichen, l’ordre a été décerné à 133 personnes sous le pontificat de Pie IX (1846-1878), 27 sous celui de Léon XIII (1878-1903), et 27 de 1903 à 1987, date de la dernière nomination intervenue. Il faudra attendre le décret de Paul VI du 15 avril 1966 pour que l’ordre, qui continue à ne comporter qu’une seule classe, soit officiellement réservé aux chefs d’État et souverains catholiques.
Le général de Gaulle reviendra une seconde fois en voyage officiel à Rome, le 31 mai 1967, pour y rencontrer S.S. le pape Paul VI, à l’occasion de sa visite en Italie pour célébrer le dixième anniversaire du Traité de Rome. Il portera à cette occasion le collier et la plaque de l’ordre du Christ, avec les insignes de grand-croix de la Légion d’honneur. Étant déjà titulaire de la plus haute distinction pontificale, il ne recevra pas de nouvelle décoration.
Depuis 1905, date de la création des chevaliers de grands colliers, l’ordre du Christ n’a été décerné qu’à 26 hautes personnalités :
• Galeazzo Comte de Thun et Hohenstein (AT),
grand-maître de l’ordre de Malte, 1906
• Prince Don Guiseppe Aldobrandini (Rome), 1915
• Prince Johan de Schonburg-Hartenstein (AT), 1920
• Prince Don Alessandro Ruspoli (Rome), 1920
• Félix de Bourbon-Parme, prince du Luxembourg (L), 1921
• Epitacie da Silva Pessoa (BR), 1922
• Augusto B. Leguia, président du Pérou, 1928
• Victor-Emmanuel III, roi d’Italie, 1932
• Umberto de Savoie, prince du Piémont, 1932
• Prince Don Ludovico Chigi Albani della Rovere (Rome),
grand-maître de l’ordre de Malte, 1933
• Wilhelm Miklas, président de la République d’Autriche, 1934
• Albert Lebrun, président de la République française, 1935
• Prince Don Francesco Chigi della Rovere, commandant de la Garde noble, 1939
• Don Marcantonio Colonna, prince assistant au Trône pontifical, 1940
• Général Franco, chef de l’État espagnol, 1953
• Luigi Einaudi, président de la République italienne, 1954
• René Coty, président de la République française, 1957
• Giovanni Gronchi, président de la République italienne, 19595
• Charles de Gaulle, président de la République française, 1959
• Prince Don Mario del Drago, commandant de la Garde noble, 1959
• Baudoin 1er de Belgique, roi des Belges, 1961
• Eamon de Valera, président de la République d’Irlande, 1962
• Antonio Segni, président de la République italienne, 1963
• Konrad Adenauer, chancelier de la RFA, 1963
• Luigi Saragat, président de la République italienne, 1966
• Fra’ Angelo de Mojana di Cologna, grand-maître de l’ordre de Malte, 1987
L’ordre du Christ a été institué par le pape Jean XXII par la bulle Ad ea ex Quibus du 14 mars 1319. En effet, après la disparition de l’ordre des Templiers, le Roi Denys 1er et la reine Élisabeth du Portugal avaient demandé au pape l’établissement d’un nouvel ordre qui eut aussi pour but la défense du Saint-Siège. Le Portugal combattait alors contre les Maures, qui menaçaient la religion et la civilisation chrétienne de l’Europe.
L’ordre reçut une constitution religieuse et militaire selon la règle de Saint-Benoît et les institutions des Cisterciens. Contrairement à ce que certains pensent, il n’y a pas eu deux ordres du Christ institués, l’un par le pape, et l’autre par le roi du Portugal. Il s’agit bien du même ordre, du moins à l’origine. Le pape avait coutume de nommer les chevaliers des différents ordres religieux-militaires, car il était leur chef suprême. L’ordre de chevalerie de N.-S. Jésus-Christ prit de plus en plus d’importance du XIVe au XVIe siècle.
En 1522, il fut définitivement scindé en deux, l’ordre papal, appelé ordre de la Milice de Jésus-Christ, récompensant des personnages de haut rang, et l’ordre portugais devenant un ordre de mérite, souvent militaire, décerné par le roi.
On rapporte que les chevaliers de l’ordre papal portaient alors un collier composé d’épées et de tiares alternées.
Mais les portraits anciens montrent aussi des personnages portant une croix latine rouge suspendue au cou. Au cours du XVIIIe siècle, la croix prend une forme proche de celle qu’on connaît aujourd’hui. Elle est illustrée par exemple dans le Recueil de planches de l’Encyclopédie par ordres de matières, Blason et Art Héraldique, tome VII, publié chez Panckoucke à Paris en 1789, avec la description suivante : « croix pâtée, haussée rouge, chargée d’une croix pleine et haussée d’argent, laquelle croix ils portent au bout de leurs colliers, qui est une chaîne à trois rangs. Il y a des chevaliers qui la portent à huit pointes ». Il est difficile de faire une description plus précise de l’évolution des insignes de l’ordre du Christ, en l’absence de textes officiels d’époque qui aient pu nous parvenir.
La situation est plus claire au début du XIXe. En 1820, A.-M. Perrot écrit : « La décoration de l’ordre du Christ est à peu près la même qu’en Portugal ; cependant, les chevaliers de l’ordre pontifical ne portent pas l’étoile qui y est représentée. Quelquefois, la décoration de l’ordre en diamant est accordée comme distinction particulière. Autrefois, cette croix était attachée à une chaîne d’or ; maintenant, elle se porte suspendue à un ruban rouge passé autour du cou. » Il n’y a malheureusement pas d’illustration de l’ordre pontifical.
Dans son Précis historique des ordres de chevalerie, décorations militaires et civiles publié à Paris et Londres en 1844, Jacques Bresson illustre précisément les insignes, qui se composent d’une croix latine émaillée rouge surmontée d’une couronne, suspendue au cou par un ruban rouge, et d’une plaque classique de l’époque, avec la croix de l’ordre en son centre. Un trophée somme la couronne lorsque la décoration est remise à titre militaire. En 1844 toujours, Auguste Wahlen, qui reproduit des insignes strictement identiques à ceux de Bresson, écrit pour sa part : «L’ordre du Christ à Rome récompense des services civils et militaires, n’a qu’une classe. La décoration se porte à la boutonnière, ou au cou, suspendue à un ruban large de soixante-cinq centimètres ; et la distinction des militaires est le trophée qui surmonte la croix. »
En 1853, Pietro Giacchieri, dans son célèbre ouvrage Commentario Degli Ordini Equestri existenti Negli Stati di Santa Chiesa, illustre lui aussi les insignes, mais également l’uniforme porté alors. Sur la plaque, la croix de
l’ordre est désormais entourée d’une couronne en or fermée par un noeud. Les autres représentations que l’on connaît dans les ouvrages de Schulze n’apportent pas d’autre information. Ce dernier précise néanmoins dans le
texte que « … les chevaliers se sont attribué le droit de porter une plaque qui n’était pas en usage autrefois et dont le modèle diffère de celui du Portugal. Il n’existe point de statuts ».
Ces insignes ne varieront plus jusqu’à la réforme de 1905, aux variations de fabrication près.
Par le bref « Multum ad excitandos » du 7 février 1905, Pie X réorganise en profondeur l’ordre qui est dénommé ordre suprême de la Milice de N.-S. Jésus-Christ. Il comporte une classe unique de chevaliers grands-colliers. La croix particulière à l’ordre se porte au cou attachée à un collier d’or formé de petits boucliers portant alternativement la croix de l’ordre et les armoiries pontificales en émail, et unis entre eux par des noeuds d’or. Sur le côté gauche de la poitrine, les chevaliers portent une plaque avec en son centre une croix de l’ordre entourée d’une couronne de laurier en or liée en bas par un petit noeud. C’est un collier et une plaque de ce type que le Général porte lors de ses visites aux papes Jean XXIII et Paul VI. En ce qui concerne l’habit, l’épée et les autres détails du costume, rien n’est changé. Les chevaliers sont astreints au port d’un uniforme se composant d’un frac de drap rouge, avec col, parements et plastron de drap blanc, broderies d’or, épaulettes recouvertes d’un tissu d’or à écaille portant la croix de l’ordre brodée sur le plat, pantalon court en satin blanc serré au-dessus du genou, bas de soie blanche, escarpins noirs vernis à boucle d’or, chapeau noir de peluche orné d’un grand galon d’or et à plume blanche, avec cocarde pontificale, boutons d’or portant la croix pontificale, petite épée de cour portant elle aussi la croix de l’ordre ciselée sur la garde. Un dessin précis des insignes et de l’uniforme est remis à chaque décoré pour qu’ils soient confectionnés avec exactitude6. Le nouveau chevalier est admis dans l’ordre après avoir reçu son bref de nomination, selon un cérémonial précis d’investiture, qui comporte en théorie une promesse d’obéissance au pape et la récitation de la profession de foi, et cela dans le cadre d’une cérémonie ou d’un office religieux présidés par un cardinal, ou à défaut de l’évêque local.
En principe, les insignes du Général devaient être accompagnés d’un bref de nomination. Mais ce document semble avoir disparu.
Il n’y aura plus aucune autre visite d’État au Vatican d’un président de la République française avant celle de Jacques Chirac, le 20 janvier 1996.
À cette occasion, ce dernier sera fait chevalier de collier de l’ordre de Pie, troisième distinction la plus élevée dans la hiérarchie des ordres pontificaux, le chevalier de collier étant une classe spéciale de l’ordre de Pie instituée par Pie XII le 25/12/1957, réservée aux chefs d’État et souverains. Valéry Giscard d’Estaing s’est rendu au Vatican le 1er décembre 1975, mais en visite privée. Georges Pompidou n’y est jamais allé. François Mitterrand a été reçu en audience par Jean-Paul II le 28 février 1982, Nicolas Sarkozy par Benoit XVI le 8 octobre 2010, et François Hollande par le pape François le 24 janvier 2014. À l’exception du général de Gaulle et de Jacques Chirac, aucun autre président français n’a été décoré par le Vatican.
Lors de son voyage à Rome, le Général s’est aussi rendu le 28 juin 1959 à l’archibasilique de Saint-Jean-de-Latran – siège de l’évêché de Rome dont le pape est l’évêque - pour y occuper sa stalle de premier chanoine d’honneur de l’archibasilique, privilège des présidents de la République française en leur qualité de successeurs des rois de France. En 1482, Louis XI avait en effet accordé au chapitre de la cathédrale de Latran le droit de toucher des revenus d’une abbaye située à Clairac dans le Lot et Garonne. Mais le chapitre de Latran n’avait jamais pu en bénéficier. Henri IV, en 1604, confirma les droits accordés et fit en sorte qu’il puisse effectivement les percevoir. En contrepartie, le chapitre de Latran nomma le roi de France chanoine d’honneur du chapitre. Les droits, transformés en rente au XIXe, furent versés jusqu’en 1871. La tradition de réserver une stalle à la France avait perduré au XXe siècle, mais aucun président de la République n’était venu prendre possession de sa charge jusqu’à René Coty.
Lors de sa visite, le Général offrit à l’archibasilique un vase de Sèvres. Le cardinal Aloisi Musella, archiprêtre, lui remit la croix de Saint-Jean de Latran, dite croix de Latran. Créée par S.S. le pape Léon XIII le 18 février 1903, elle était conférée à des personnes, hommes ou femmes, recommandables par leur honorabilité, leur vie exemplaire et les services rendus à l’Église catholique.
Léon XIII a chargé le chapitre de l’archibasilique de la décerner en son nom.
Elle comporte trois classes : 1re classe (or), 2e classe (argent) et 3e classe (bronze). Un diplôme est remis au récipiendaire ; plusieurs modèles sont connus, les plus anciens étant les plus décoratifs. Le premier modèle de la croix de Latran représentait une croix grecque dite bourdonnée, chaque croisillon portant à ses extrémités un médaillon représentant un saint (les deux saints-patrons de l’archibasilique : saint Jean à droite, et saint Jean-Baptiste à gauche ; les saints patrons de Rome : saint Pierre en haut, et, saint Paul en bas). Au centre, un médaillon montre l’effigie nimbée du Christ. Le revers de la croix porte l’inscription SACROSANCTA LATERANENSIS ECCLESIA OMNIUM URBIS ET ORBIS ECCLESIARUM MATER ET CAPUT. Elle est suspendue à un ruban rouge liseré de bleu.
L’insigne a été modifié au début des années 1950. Le modèle remis au Général est donc la croix de 1re classe du deuxième type : elle est en vermeil. Au verso du diplôme qui accompagne la croix de Latran du Général, une mention manuscrite précise que « le métal précieux de la Croix d’Or est un hommage des membres français de la Noble Association des chevaliers pontificaux ». La croix est toujours suspendue à un ruban rouge liseré bleu. Mais les effigies des quatre saints sont reliées par un cercle. Au revers, on trouve dans les pommettes le nom de chaque saint représenté : en haut PETRUS, en bas PAULUS, à gauche JOA(NN)ES, à droite (JOANNES)BA(P)TIS(TA). La croix est sommée d’un médaillon formant bélière qui comporte l’inscription SACROSANCTA LATERANENSIS ECCLESIA à l’avers, surmontée des armes papales, et OMNIUM URBIS ET ORBIS ECCLESIARUM MATER ET CAPUT au revers, surmontée des armes cardinalices.
Un diplôme tout à fait original a été réalisé spécialement pour le général de Gaulle par les soeurs franciscaines de Marie à Rome, ainsi qu’en fait foi la mention manuscrite portée au verso du diplôme. Son texte est quasi identique à celui du modèle habituel de cette époque. Il est signé par l’archiprêtre de l’archibasilique, le cardinal Aloisi Musellla, par le doyen du chapitre, le chanoine Pius Puschini, et, par un autre chanoine, Pierre Pfister (les diplômes courants ne sont généralement signés que par le doyen du chapitre). Il précise que la croix de Latran est attribuée « à ceux qui par leurs actes et leur illustration ont bien mérité de la basilique » et que l’insigne peut être porté « dans les processions, dans les cérémonies rituelles, à la basilique vaticane même, et en présence du Souverain Pontife ». En ce sens, ce n’est donc pas une médaille officielle.
Bernard Berthod indique dans son célèbre ouvrage Trésors inconnus du Vatican que la croix de Latran n’est plus conférée depuis 1969.
NOTES DE BAS DE PAGES
1 - Il s’agit des dates d’attribution des distinctions
2 - Ils avaient eux-mêmes retourné à la France leurs insignes de grand-officier, considérant comme indigne de ne pas avoir été élevés directement à la dignité de grand-croix à l’occasion du voyage du Général dans leur pays.
3 - Source de ces citations : Histoire de la Libération de la France, Robert Aron, pp. 330 et 331
4 - Elle a fait partie, sous le n° 180, de l’exposition « Trésors du Vatican, La papauté à Paris », organisée en 1990 au Centre culturel du Panthéon à Paris.
5 - Le collier et la plaque du président Gronchi ont été vendus aux enchères une première fois par Christie’s à Rome en 1984 et une deuxième fois par A. Thies à Nürtingen en 2007.
6 - On connaît des colliers fabriqués par Tanfani & Bertarelli, Gamarelli et Guccione.
SOURCES DOCUMENTAIRES
• Entretien avec le souverain pontife Jean XXIII, 27 juin 1959, archives de l’INA
• Rencontre avec le pape Paul VI, 31 mai 1967, archives de l’INA
• Robert Aron, Histoire de la libération de la France, Librairie Fayard, 1959
• « De Gaulle, les papes et le concile Vatican II », site internet de la Fondation Charles de Gaulle
• « La visite du général de Gaulle au Vatican », Le Figaro, 29 juin 1959
• « Gli Ordini Supremi Pontifici », Patrizio Romano Giangreco, Il Mondo del Cavaliere, Gennaio-Marzo 2003, N°9
• « Les chevaliers du suprême ordre du Christ », Miguel E. Bermudez B, Journal de l’OMRS, hiver 1987
• « L’Ordre du Christ à S. M. le Roi de Belgique », L’Illustrazione Vaticana, n°23, 5/12/1932
• « L’Ordre du Christ et l’Éperon d’Or », L’Illustrazione Vaticana, n°2, 20/1/1932
• « De Gaulle avait tracé la route de l’Elysée au Vatican », La Croix, 7 octobre 2010
• « Le voyage officiel en Italie du général de Gaulle (23-27 juin 1959) »,
Cahiers de la Méditerranée, Stéphane Mourlane, 77/2008, pp. 95-110
• Frédéric Guigue de Champvans, Histoire et législation des ordres de chevalerie, marques d’honneur et médailles du Saint-Siège, Paris, 1932
• S. Felice y Quadremy, Ordenes de Caballeria Pontificias, Mallorca, 1950
• Jacques Bresson, Précis historique des ordres de chevalerie, décorations militaires et civiles, Paris et Londres, 1844
• Auguste Wahlen, Ordres de chevalerie et marques d’honneur, Bruxelles, 1844
• H. Schulze, Chronique de tous les ordres et marques d’honneur de chevalerie, Berlin, 1855
• Orden und Ehrenzeichen, Das Magazin für Freunde der Phaleristik
• Bernard Berthod, Trésors inconnus du Vatican, Paris, Les Éditions de l’Amateur, 2001
• Johann Wilhelm Rammelsberg, Beschreibung aller sowohl noch heutiges Tages florirenden als bereits verloschenen Ritter-Orden in Europa, Berlin, 1744
• Ordre du Christ, archives Rullier, musée de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie
• Recueil de planches de l’Encyclopédie par ordres de matières, tome septième, chez Panckoucke, Paris, 1789