Les COUDRAY, joailliers des ordres du Roi.
Anne Dion-Tenenbaum
Conservateur en chef du Patrimoine,
Département des objets d’art du musée du Louvre
Avant la Révolution et sous la Restauration, Coudray père et fils vont se succéder comme joailliers des ordres du roi.
Étienne-Pierre Coudray (Suresnes, 1er novembre 1726-Paris, 6 janvier 1790) est le fils de Pierre Coudray (Suresnes, vers 1682-1750), grand hautbois de la Chambre et Écurie du roi, et de Marie Melin (Suresnes, vers 1694-1729). En octobre 1742, il entre en apprentissage pour huit ans chez Paul-Alexandre Vallée, orfèvre rue de Harlay(1).
C’est son entrée dans la famille Dehaynault qui va orienter sa carrière vers la fabrication des ordres. En août 1754, Étienne-Pierre Coudray épouse Louise-Nicole Dehaynault, fille du marchand orfèvre-joaillier Pierre Dehaynault. Le mariage est prestigieux comme en témoigne la rédaction du contrat de mariage(2) placée sous le patronage de Paul Hippolyte de Beauvilliers, duc de Saint-Aignan (1684-1776), pair de France, chevalier des ordres de Sa Majesté, lieutenant général des armées du roi et également sous celui de Augustin François de Paule de Louvencourt, conseiller au Parlement. Plus de quatre-vingts témoins apposent leur signature.
Les Dehaynault, originaires de Coulommiers, sont établis à Paris comme orfèvres depuis deux générations. Trois frères, fils de l’orfèvre Jean Dehaynault, exercent conjointement : Pierre actif à partir de 1725, dont Étienne-Pierre Coudray épouse une fille née d’un premier mariage, Nicolas à partir de 1731, et Jean-Pierre à partir de 1735. Pierre sert de caution à son gendre lors de sa réception à la maîtrise le 16 juillet 1757. Ce dernier fait insculper deux poinçons avec ses initiales EPC et choisit pour symbole, de façon déjà significative, une croix de Saint- Louis. En 1757, il succède non à son beau-père, mais à son oncle par alliance, Nicolas Dehaynault, qui n’a pas d’enfant. Peut-être est-ce auprès de ce dernier qu’Étienne-Pierre Coudray a-t-il commencé sa carrière ? En 1751, il demeure en effet rue Saint-Louis, paroisse Saint-Barthélemy, adresse de Nicolas(3), et tous deux sont ensuite installés quai des Orfèvres du côté du Pont-Neuf.
Nicolas Dehaynault, à l’enseigne «à la croix de St Louis», fait «toutes sortes de croix de chevalier, du S. Esprit, de S. Loüis, de Malte, &.; les colliers de ces Ordres, ceux de S. Michel de la Toison et autres…»(4). Nicolas Dehaynault est grand garde de la corporation des orfèvres en 1761 et consul de la juridiction consulaire parisienne en 1764. C’est donc un orfèvre estimé. Son inventaire après décès confirme sa richesse et sa réussite sociale, puisqu’il est officier de la dauphine. En 1772, se sentant malade, il démissionne de son office de chef de fourrière de la dauphine ; il fait en sorte qu’Étienne-Pierre Coudray soit nommé à sa place et il lui avance mille livres pour sa réception(5). Coudray obtient de la dauphine, future Marie-Antoinette, ses lettres de provision d’office le 1er décembre 1772 et prête serment de fidélité entre les mains du Premier maître d’hôtel.
Étienne-Pierre Coudray reprend à son compte les spécialités de son protecteur. Le 25 juillet 1763, il annonce dans les Affiches de Paris : « Le Sr Coudray, orfèvre joaillier, à la Croix de saint Louis, successeur du Sr Dehaynault, qui demeurait ci-devant quai des Orfèvres, près du Pont Neuf, continue de fabriquer, vendre et acheter les croix de tous les ordres français et étrangers et demeure présentement à l’entrée de la place Dauphine, vis-à-vis Henri IV »(6).
En 1776 pourtant, un an après le décès de Nicolas Dehaynault, il substitue la croix de Saint-Lazare à celle de Saint-Louis dans son enseigne(7). Coudray semble en effet le fournisseur privilégié des ordres réunis de Notre-Dame-du-Mont-Carmel et de Saint-Lazare de Jérusalem. Louis XV réforme ces ordres réunis en 1757, nomme grand maître le duc de Berry, futur Louis XVI, auquel succède en 1772 le comte de Provence. Nous disposons d’une analyse succincte(8) des registres de crédit de Coudray commencés le 12 juillet 1756, date qui marque donc le début de son activité. Nous apprenons que le 2 mai 1759, le joaillier a reçu de François-Louis de Lattaignant de Bainville, grand trésorier des ordres de Saint-Lazare de Jérusalem, la somme de 2074 livres. Lattaignant est un nom qui revient fréquemment dans les comptes de Coudray entre 1759 et 1784, date du décès de son épouse. On trouve en outre à plusieurs reprises les noms du marquis de Montesquiou (chancelier garde des Sceaux des ordres de Saint-Lazare et du Mont Carmel en 1783), du comte de Bombelles (Joseph Henri, prévôt et maître des cérémonies des ordres réunis en 1766 et commandeur en 1783), du marquis de Bombelles (Marc-Marie qui obtient une commanderie en 1779), du marquis de Chabrillan (commandeur en 1783), de de Bard successeur de Lattaignant comme trésorier. Dans l’inventaire des marchandises figurent dix-sept croix de Saint-Lazare (estimées 1000 livres). Quatre «croix pour prix d’élèves» sont également mentionnées ; il pourrait s’agir de ces petites croix proposées chaque année à trois élèves de l’École royale militaire, qui s’étaient distingués par une action d’éclat, selon
le règlement institué par le comte de Provence en 1779. Après 1784, comme le montre l’analyse de son livre de crédit entre 1784 et 1790(9), c’est-à-dire entre la mort de son épouse et la sienne, l’ordre de Saint-Lazare est moins présent.
À l’instar de son prédécesseur, Étienne-Pierre Coudray poursuit la fabrication de croix de l’ordre royal et militaire de Saint-Louis, ordre non nobiliaire créé par Louis XIV en 1693. Les croix de chevalier et de commandeur sont nombreuses dans son fonds. Le 18 février 1783, il reçoit la commande de mille croix, à fournir en cinq livraisons ; le dernier cinquième n’est livré que le 13 novembre 1784, alors que Coudray a perçu le 12 mars 1784 une avance de 80 000 livres(10) de François-Joseph Veytard, trésorier de l’ordre de Saint-Louis, pour une nouvelle commande de mille autres croix à fournir à Delorme, probablement Charles-Antoine Delorme, commis dans les bureaux de la Guerre à Versailles, son gendre(11). Coudray n’a pas encore commencé à travailler à ces croix lors du décès de son épouse en septembre 1784. Lors de son propre décès, cinq ans plus tard, il est encore question d’une avance de 32 000 livres pour quatre cents croix de Saint-Louis. Étienne Hyppolite Nicolas Coudray, qui succède alors à son père, s’engage à fournir les quatre cents croix(12). Outre son gendre Delorme, Coudray dispose d’un autre appui familial dans les rouages de l’administration militaire, en la personne de son cousin Antoine-Jean Melin (1726-1794)(13), premier commis du bureau des fonds de la Guerre, qui est institué secrétaire-greffier de l’ordre royal de Saint-Louis le 27 mars 1779.
La fabrication des insignes de l’ordre du Saint-Esprit représente également une part importante de son activité, au moins dans les dernières années de l’Ancien Régime. Les recherches de M. Patrick Spilliaert attestent la fourniture en 1776 et 1777 de quatorze croix de chevaliers et de trois croix de prélats. Comme pour l’ordre de Saint-Louis, Coudray peut bénéficier du soutien d’un cousin, Antoine-Marie-Isaac Melin(14), nommé trésorier particulier de l’ordre par l’édit du 7 janvier 1784. On sait par les archives de l’ordre conservées au musée de la Légion d’honneur qu’en juin 1783, le nombre des chevaliers ayant été augmenté par Louis XVI, neuf colliers sont commandés à Coudray par le comte de Vergennes, grand trésorier ; ces colliers étaient d’un modèle nouveau, à vingt-neuf maillons au lieu de trente-deux. En 1784, un autre collier et son écrin lui sont payés 6211 livres et 4 sols(15). Or dans l’inventaire dressé en octobre 1784, outre des croix ou grandes croix de cet ordre, « cinq échantillons en or du grand collier de l’ordre du Saint-Esprit » sont estimés 300 livres. Dans ce même inventaire, l’ordre du Saint-Esprit doit à Coudray 1848 livres(16) ; puis, jusqu’en janvier
1790, il perçoit 10648 livres.
Le musée de la Légion d’honneur conserve la croix de Mgr du Coëtlosquet (1700-1784), précepteur des enfants de France.
M. Patrick Spilliaert a retrouvé la fourniture de cette croix de prélat par Coudray en 1775(17). Enfin, un écrin en maroquin rouge d’un collier malheureusement non conservé du Saint-Esprit porte à l’intérieur l’étiquette : «rue du Roule à la fabrique des Croix de tous les Ordres du Roi. COUDRAY joaillier des ordres du roi, et de S.t Lazare. À Paris»(18). L’adresse étant celle de Coudray à partir de 1784, il pourrait s’agir de l’écrin du collier livré en 1784.
Coudray est installé place du Pont-Neuf, comme son prédécesseur, jusqu’à la mort de son épouse, puis il achète une maison rue du Roule le 27 octobre 1784(19). Cette maison de trois étages, plus un en mansarde, et de trois croisées sur rue, lui offre plus d’espace. La boutique sur rue et le balancier sont au rez-de-chaussée. La famille habite le deuxième étage. Le grand atelier, au troisième étage, est équipé d’un établi pour six ouvriers et de deux autres pour cinq ouvriers ; une pièce abrite les fourneaux à émailler et un cabinet, servant au lissage des émaux, un grand établi à six places. Étienne-Pierre Coudray laisse donc une maison florissante et en pleine activité à sa mort au début du mois de janvier 1790. Il a certes dû faire face aux évènements révolutionnaires de 1789 ; le 14 novembre, il a envoyé à la fonte, à la Monnaie de Paris, un peu plus de quatorze marcs d’or(20). Il a néanmoins commandé à un serrurier une nouvelle grande lingotière et des carrés pour servir de matrices aux croix de Saint-Louis(21).
Troisième des six enfants d’Étienne-Pierre et aîné des deux fils, Étienne-Hyppolite-Nicolas Coudray (Paris, 5 novembre 1761-19 septembre 1823) s’est probablement formé dans l’atelier familial et il travaille comme orfèvre joaillier aux côtés de son père lors du décès de ce dernier, bien qu’il n’ait pas été reçu maître. Il est logique donc qu’il rachète le fonds de son père à ses frères et soeurs en février 1790. Ce rachat des outils, des marchandises et des modèles, lui coûte 51 609 livres, preuve de l’importance du fonds(22). Le contexte devient néanmoins très vite moins favorable, voire dangereux. Comment un joaillier spécialiste des ordres royaux a-t-il traversé la période révolutionnaire ? On ne dispose que de peu de renseignements sur Coudray dans ces années difficiles. Le cousin déjà cité de son père, Antoine-Jean Melin, secrétaire de l’ordre de Saint-Louis, est exécuté par le Tribunal révolutionnaire en juillet 1794. Coudray reste à Paris, rue du Roule, section des Gardes françaises. Il se marie en pleine Terreur, le 9 ventôse an II/ 27 février 1794, à Saint-Denis alors débaptisé en commune de Franciade(23). Il épouse Marie Éléonore Treffenscheidl (Saint-Denis, 8 mars 1773-Paris, 9 juillet 1817), fille d’un apothicaire de Saint-Denis(24).
Quelle peut être sa production dans ses premières années d’activité ? Les ordres royaux ayant été supprimés, une reconversion s’est forcément imposée, et Coudray a dû diversifier sa production dans les années révolutionnaires. Il fait insculper un nouveau poinçon avec les initiales de ses prénoms et son nom en toutes lettres, sans différend, dans un losange transversal. Son en-tête annonce, outre la fabrication de croix, qu’il « change les monnaies, fait le commerce d’or et d’argent en lingot pour son compte et par commission, ainsi que tout ce qui concerne l’orfèvrerie, les diamants et les bijoux ». En l’an XIII, il vend au Chambellan de l’Empereur un nécessaire d’instruments pour l’extraction des dents, pour la somme de 1500 francs(25). Sous l’Empire, il retrouve son ancienne spécialité. Il poursuit, lorsque l’occasion s’en présente, la fabrication des ordres étrangers, dont il a probablement conservé les modèles. Ainsi fournit-il à Talleyrand, Grand chambellan, pour le service de l’Empereur, deux insignes de la Toison d’or, les 15 et 22 thermidor an XIII/ 3 et 10 août 1805(26). Lors de la création de la Légion d’honneur, il ajoute ce nouvel insigne à sa panoplie, et l’almanach des orfèvres publié en 1806 par Douet indique comme spécialité pour Coudray : «l’uni, l’ajusté, et les décorations d’honneur»(27). À la différence d’Antoine-Michel Halbout qui envoie des lettres de sollicitation au grand chancelier dès 1803, il ne semble pas avoir cherché à être nommé joaillier en titre de la Légion d’honneur(28).Lorsqu’est créé en 1811 l’ordre de la Réunion, en remplacement de l’ordre de l’Union créé par Louis Bonaparte, il reçoit néanmoins de la grande chancellerie, en 1812, des commandes d’insignes(29). En 1811, Coudray fait partie des bijoutiers parisiens qui proposent un dessin pour le nouvel ordre des Trois Toisons d’or souhaité par Napoléon, mais vite abandonné(30). Deux dessins, conservés au musée de la Légion d’honneur, témoignent de la qualité de ses projets.
Les affaires de Coudray sous l’Empire ne semblent pas trop mauvaises, puisqu’il fait partie en 1810 des notables commerçants appelés à élire les juges du Tribunal du commerce(31). Il bénéficie de clients prestigieux comme l’archichancelier Cambacérès, dont le musée de la Légion d’honneur conserve l’écrin. Des plaques métalliques diamantées sont signées au revers sur cuir par Coudray(32) pour les ordres de la Légion d’honneur, de Saint-Étienne de Hongrie, de la Couronne de Westphalie et deux de l’ordre de la Couronne de fer dont Cambacérès est nommé grand dignitaire le 3 avril 1813 (datables donc entre avril 1813 et avril 1814).
Dès la première Restauration, Coudray connaît une consécration immédiate. Le 25 juillet 1814, il sollicite avec succès le titre de Joaillier des ordres du roi, que portait son père(33). Il constitue donc un exemple de cette forme de survivance des titres d’Ancien Régime, souvent pratiquée sous la Restauration. Dès lors, Coudray semble avoir jusqu’à sa mort un quasi-monopole sur la fourniture officielle des ordres(34).
L’ordre du Saint-Esprit, dont le rétablissement est officialisé par l’ordonnance royale du 28 septembre 1814, se réorganise dès le mois de juin(35). L’huissier Caminade de Castres envoie le 17 juin 1814 une lettre circulaire aux familles des anciens membres, pour tenter de comptabiliser les colliers et les croix d’Ancien Régime subsistants. En outre, il demande à Coudray un devis pour cent colliers du Saint-Esprit, leur croix avec cordon bleu et leur écrin. Un collier, pesant 2 mars, 7 onces et 6 gros d’or, avec sa croix, reviendrait à 4690 francs, et avec une seconde croix, un cordon et un écrin à 5035 francs(36). Néanmoins, jusqu’en 1820, seuls le roi et les princes étrangers se voient effectivement fournir des colliers. Un collier est remis au comte de Blacas pour Louis XVIII dès le 21 juillet 1814 ; ce collier est finalement offert par le roi au prince régent d’Angleterre, futur Georges IV, sous la seconde Restauration, en août 1815(37).Trois nouveaux colliers semblables sont commandés par le comte de Pradel, directeur de la Maison du Roi, le 16 juillet 1815, en même temps que trois croix à fournir sur le champ à Louis XVIII(38) . Pris par l’urgence, Coudray se procure trois croix existantes de dignitaires de l’ordre, s’engageant à les remplacer. Le chancelier Dambray, le grand trésorier de Sèze, le maître des cérémonies d’Aguesseau, l’huissier Caminade et le héraut Dutillet du Villars avaient probablement reçu une croix dès 1814. Les trois colliers et les insignes sont remis aux souverains alliés, le tsar Alexandre, Frédéric-Guillaume III de Prusse, et François 1er d’Autriche, avant leur départ de Paris, en septembre suivant(39). Au début de l’année 1816, Coudray soumet un devis de 4835 francs pour la fourniture d’un collier du Saint-Esprit, pour le service personnel du roi, probablement en remplacement du collier offert au prince régent(40) . Il demande finalement 4500 francs du collier achevé en octobre, prix confirmé par l’expertise effectuée en novembre. Ce collier se compose de vingt-neuf maillons émaillés et d’une grande croix suspendue à une chaine en or(41).
À l’occasion du service funèbre célébré à Saint-Denis en mémoire de Louis XVI, le 21 janvier 1816, Coudray fournit aux Menus Plaisirs un « faux » collier du Saint-Esprit, pour lequel l’émail est remplacé par un vernis posé en plusieurs couches, et l’or par du cuivre doré(42). Ce collier est destiné à servir aux pompes funèbres et autres cérémonies(43). En 1824, il est ainsi déposé sur le cercueil de Louis XVIII, dans la chapelle ardente de Saint-Denis. Il est en outre réclamé par le peintre Gérard comme accessoire pour peindre le portrait de Charles X(44).
Si Coudray a retrouvé son statut d’Ancien Régime, les commandes restent parcimonieuses, et la situation de Coudray est fragile. L’immeuble de la rue du Roule, acheté par son père en 1784, est vendu par adjudication aux criées du département de la Seine le 3 janvier 1815(45). Il a proposé en vain de faire de sa maison «une fabrique de tous les ordres du Roi», établissement qui aurait pu être comparable à la Monnaie des Médailles(46). L’année 1817 est une année noire pour le joaillier. Malgré le sacrifice de son immeuble qu’il continue d’ailleurs d’occuper, et malgré des avances concédées par la Maison du Roi sensible à sa situation(47), le 28 février 1817, il est déclaré en faillite(48). Les scellés sont apposés le 1er mars, mais les ateliers et la boutique ne sont pas fermés et Coudray est autorisé à poursuivre son activité. En juillet 1817, Coudray perd son épouse. Deux inventaires, dressés l’un lors de la mise sous scellés et l’autre après le décès de Marie-Éléonore Treffenscheidl, nous livrent des informations sur son activité(49). La famille occupe, comme c’était le cas avant la Révolution, le second étage. La boutique sur rue a été mise au goût du jour, avec son comptoir en acajou relevé de cuivre doré et la montre garnie de trois glaces(50); les portraits de Louis XVI, de Louis XVIII et de la duchesse d’Angoulême proclament la fidélité royaliste de Coudray. Les ateliers sont installés au quatrième étage. L’inventaire des marchandises révèle la variété des décorations étrangères proposées : de Russie (Saint-André,
Sainte-Anne, Saint-Georges, Saint-Vladimir), de Bavière (Saint-Michel), de Bade, d’Autriche (Marie-Thérèse), de Prusse (Mérite, Aigle rouge), de Saxe (Saint-Henri), de Hesse-Darmstadt, de Wurtemberg, de Pologne (Aigle blanc), du Portugal… La Légion d’honneur est également très présente. On apprend également que Coudray a reçu en janvier 1817 du grand trésorier de Sèze, 6000 francs, avance pour une commande de croix de Saint-Michel. Par la suite, cinquante-trois croix sont en effet livrées, pour une valeur de 9275 francs(51) .
Le 1er juillet 1818, Coudray obtient son concordat et le 6 août son homologation. Le malheur le poursuit néanmoins. Ses quatre enfants succombent à peu d’intervalles : Hyppolite-Étienne à l’âge de 14 ans le 19 octobre 1818, Élisa-Nathalie à l’âge de 7 ans le 25 octobre suivant, Adèle-Eugénie à 21 ans le 15 mars 1820 et l’aînée, AugustineÉléonore, le 21 février 1821(52). Le 30 septembre 1820, pour célébrer la naissance du duc de Bordeaux, le roi nomme trente-cinq chevaliers commandeurs du Saint-Esprit, dont quatre ecclésiastiques. Les insignes sont immédiatement commandés à Coudray, qui livre entre le 20 et le 31 octobre trente-et-une croix de chevalier commandeur, autant de cordons bleus et de plaques brodées, et huit croix de prélat (quatre à deux colombes et quatre autres à médaillon de saint Michel), le tout pour 12 945 francs(53) . C’est probablement pour éviter les commandes à exécuter dans la hâte que le joaillier livre le 26 février 1821 vingt croix de chevalier et trois de prélats commandeurs du Saint-Esprit, beaucoup plus que ne le nécessitait la promotion de l’année. Cette même année, le lancement de la fabrication de colliers est motivé par ce même souci de prévision(54). Par ailleurs, le duc de Bourbon fait remplacer à ses frais par Coudray son collier d’Ancien Régime le 24 mars(55). En 1822, Coudray est chargé des insignes de deux nouveaux officiers de l’ordre, non commandeurs : Gauchy, garde des archives, et Lalande, secrétaire.
Les livraisons de croix pour l’ordre de Saint-Michel sont également régulières, souvent destinées à des médecins, ou parfois des artistes(56). On peut supposer que le collier de l’ordre de Saint-Michel que le roi arbore sur ses portraits est à attribuer à Coudray, mais on n’en pas trouvé trace dans les archives. L’inventaire après décès de Coudray atteste qu’il fabrique des insignes de l’ordre de Saint-Louis. Il n’a en revanche pas l’exclusivité de la fourniture au roi des ordres étrangers ; ainsi en mai 1819, Louis XVIII représentant le roi d’Espagne remet solennellement au duc de Mouchy, dans la salle du Trône, un collier de la Toison d’or ; or ce dernier n’a pas été commandé à Coudray, mais à Beaugeois(57).
Les colliers et les croix ne portant pas de poinçon de fabricant, leur attribution repose sur des critères formels. Il faut donc déterminer un corpus de références, documenté par les archives et l’historique des pièces. La croix du Saint-Esprit remise au chancelier Pasquier en 1820 (musée de la Légion d’honneur, dépôt Spada) est probablement l’une des trente-et-une croix livrées par Coudray en octobre 1820. Les plaques, brodées ou métalliques, nombreuses dans l’inventaire après décès de Coudray, ont par chance parfois conservé au revers leur cuir signé.
Un collier du Saint-Esprit provenant de la maison royale du Portugal, probablement de l’infant Dom Miguel de Bragance (collection de l’ambassadeur Spada en dépôt au musée de la Légion d’honneur), peut être attribué à Coudray, puisqu’il semble de son vivant en être le seul fabricant. Les décorations de l’ordre de Saint-Michel et du Saint-Esprit sont en effet solennellement conférées à Lisbonne au roi Jean VI et à l’infant Dom Miguel par le nouvel ambassadeur Hyde de Neuville, en septembre 1823(58). Ce collier, qui a la particularité de ne compter que vingt-sept maillons au lieu de vingt-neuf, serait donc un ultime témoignage de l’activité de Coudray.
Dernier rescapé de sa famille, Étienne-Hyppolite Coudray s’éteint à son tour le 19 septembre 1823(59). Il laisse pour héritières trois de ses soeurs et une nièce, pour une succession d’ailleurs très modeste. Dès le 23 septembre, le chancelier de France, le grand prévôt et maître des cérémonies et le grand trésorier sont informés du décès de Coudray par l’huissier des ordres, Tiolier, qui propose la nomination d’Ouizille en remplacement(60). Armand-Luc Ouizille (Paris, 1788-1878) était associé à André-Guillaume Lemoine. Il était bijoutier du roi et fournisseur de la grande chancellerie de la Légion d’honneur depuis le rachat du fonds d’Antoine-Michel Halbout en 1819.
Ouizille connaissait bien le fonds de Coudray, qu’il avait inventorié lors de son décès.
NOTES DE BAS DE PAGES
1. Contrat du 16 octobre 1742 chez Me Doyen (Arch. nat., MC, CXV/537).
2. Contrat du 18 août 1754 (Arch. nat., MC, CIX/603). Je remercie M. Philippe Bechu qui m’a communiqué ce contrat.
3. 21 novembre 1751, partage de Pierre Coudray (Arch. nat., MC, LXXXIII/424).
4. En-tête reproduite par Nocq, Le poinçon de Paris, t. II, 1927, p. 29.
5. 19 octobre 1772 (Arch. nat., MC, CIX/709).
6. Cité par Nocq, t. I, 1926, p. 301.
7. Almanach dauphin, 1776.
8. Ses registres sont sommairement analysés dans l’inventaire dressé après le décès de son épouse Nicole-Louise Dehaynault le 28 octobre
1784 et dans la liquidation de sa succession le 27 décembre (Arch. nat., MC, LXIV/475).
9. Scellé après décès du 6 janvier 1790 (Arch. nat., Y 12699) et inventaire du 15 janvier (MC, LXIV/494).
10. Un lingot d’une valeur de 33 658 livres et un mandat de 46341 livres.
11. Il a épousé Marie-Constance Coudray en avril 1784.
12. Vente d’ustensiles et marchandises à Étienne Hyppolite Nicolas Coudray, 4 février 1790 (MC, LXIV/494).
13. Cousin de la mère d’Étienne-Pierre Coudray, Marie Melin, Antoine-Jean Melin a en outre épousé une cousine germaine de l’orfèvre, Jeanne Coudray.
Dans l’inventaire de 1784, il est dit écuyer, commissaire ordonnateur des guerres et intendant des ordres du roi, et il est tuteur d’Étienne Hyppolite
Nicolas Coudray à la mort de sa mère. En 1790, après la mort d’Etienne-Pierre Coudray, il est encore tuteur des trois enfants mineurs.
14. Lors de l’inhumation dans la cave de Saint-Roch d’Antoine-Marie-Isaac Melin, Étienne-Hippolyte-Nicolas Coudray, témoin, est dit son
cousin issu de germain (registre de sépulture de Saint-Roch, 19 mai 1792, Arch. de Paris, état-civil).
15. Toutes les informations sur Coudray et l’ordre du Saint-Esprit sont tirées de l’article de Patrick Spilliaert, « Les insignes de l’ordre du Saint-
Esprit », Ordres et distinctions. Bulletin de la Société des Amis du Musée national de la Légion d’honneur et des ordres de chevalerie, n°12,
2009, p. 4-33. Selon M. Spilliaert, ce dernier collier est remis au maréchal de Ségur en échange du sien envoyé en réparation.
16. Selon M. Patrick Spilliaert, cette créance correspond au prix du lingot obtenu avec la fonte de 14 vieilles croix du Saint-Esprit et une de
Saint-Michel en septembre 1784.
17. M. Patrick Spilliaert a par ailleurs trouvé la fourniture d’autres croix de prélats : le 6 décembre 1776 pour le cardinal de Rohan, le 20 mai
1778 pour le cardinal de La Rochefoucauld et l’évêque de Senlis (540 livres).
18. Dépôt du musée du Louvre au musée de la Légion d’honneur, inv. NP 61.
19. Acte de vente, 27 octobre 1784 (MC, LXIV/475).
20. Journal de Paris, supplément : bijoux et vaisselle d’or portés à la Monnaie de Paris depuis le 22 septembre 1789 jusqu’au 15 décembre.
21. Commandes que son fils et successeur reprendra à son compte.
22. Vente déjà citée du 4 février 1790 (LXIV/494).
23. Archives municipales de Saint-Denis, état-civil. Voir aussi contrat de mariage du 30 pluviôse par Me Guilbert (Arch. départementales de
Seine-Saint-Denis, 2 E8/177). Je remercie Calin Demetrescu et Guillaume Nahon de m’avoir communiqué cet acte.
24. La famille Coudray était liée à la famille Julien, entrepreneurs de bâtiments de Suresnes ; or la mère de Marie-Éléonore Treffenscheidl,
Marie-Gertrude Pelletier, avait épousé en première noce Pierre Julien.
25. Paris, Bibliothèque Thiers, fonds Masson, carton 111.
26. Photocopie conservée à la documentation du musée de la Légion d’honneur.
27. S.P. Douet, Tableau des symboles de l’orfèvrerie de Paris, 1806, p. 33.
28. L. Wodey, L’insigne de l’honneur. De la légion à l’étoile, 1802-1815, 2005, p. 100.
29. Coudray fournit 70 croix de commandeur, 48 grandes croix et 100 croix de chevalier (comptes de l’ordre de la Réunion, musée de la Légion d’honneur).
Je remercie Anne de Chefdebien qui m’a communiqué ces documents.
30. J. Jourquin, « L’ordre des Trois Toisons d’or, 1809-1813. Un ordre sans membres ni insigne », dans La Phalère, n°1, 2000, p. 204-214.
31. Liste des notables commerçants de la Ville de Paris pour l’élection des juges du Tribunal de commerce, 1810.
32. Musée de la Légion d’honneur, inv. 7836, 7837, 7839, 7842, 7845.
33. Toutes ces informations sont tirées des archives du Saint-Esprit conservées au musée de la Légion d’honneur. Je remercie vivement
M. Patrick Spilliaert qui m’a extrait de ces archives tout ce qui concernait Coudray fils.
34. Les insignes garnis de diamants de la Couronne sont néanmoins livrés par le joaillier Menière en 1814, puis par Bapst.
35. Cf. article de P. Spilliaert déjà cité.
36. Devis remis par Caminade de Castres au comte d’Aguesseau le 2 août 1814 ; il lui transmet en outre la demande du comte de Blacas de
quatre colliers pour les princes, qui ne semble pas avoir été confirmée (Arch. du musée de la Légion d’honneur). Pour comparaison des prix,
Ouzille et Lemoine facturent en 1825 un collier, à peine plus léger (2 marcs 3 gros) et son écrin, sans deuxième croix toutefois, 3705 francs.
37. Cf. note de frais d’août 1815 du voyage en Angleterre de Caminade de Castres (Arch. du musée de la Légion d’honneur).
38. Lettre de Coudray à Caminade, 16 juillet 1815 (ibid.).
39. Journal des Débats, 13 septembre 1815.
40. Asselin, secrétaire trésorier de la Garde-Robe à Pradel, directeur de la Maison du roi, 16 février 1816 (Arch. nat., O32100).
41. Procès-verbal du 19 novembre 1816 (ibid.). Le collier pèse 2 marcs 4 gros 5 onces et 1/2, soit 2110 francs d’or, façon 2100 francs, croix 270, écrin 120.
42. Lettre de Coudray, 26 décembre 1815 (Arch. nat., O31600). Un collier provenant du musée des Souverains (MS 63 ou Cl 18562) semble
correspondre à ce collier fourni aux Menus Plaisirs, même si son historique avant l’entrée au musée des Souverains n’est pas connu.
43. Arch. nat., O3284. Le collier est payé 600 francs.
44. Lettre du baron de La Ferté au comte de Damas, 1er gentilhomme de la Chambre du Roi (Arch. nat., O3228).
45. Sommier foncier (Arch. de Paris, DQ18 201). Muraine achète également une maison attenante 83 rue Saint-Honoré.
46. Lettre de Coudray au comte de Blacas, ministre de la Maison du Roi, 12 décembre 1814 (Arch. nat., O31876).
47. Coudray reçoit 2500 francs d’acompte pour le collier du roi en février 1816 (O32100) et 6000 francs pour une commande de croix de Saint-
Michel en janvier 1817 (O31613).
48. Déclaration du 28 février 1817 (Arch. de Paris, D10U32). Bardet, notaire à Saint-Denis, qui sera l’exécuteur testamentaire de Coudray, est nommé syndic de
la faillite. Le passif est de 230 235 francs, contre 64 439 francs d’actif.
49. Inventaire après décès du 10 décembre 1817 (Arch. nat., MC. XI/915) et inventaire après scellés, 1er mars 1817 (Arch. de Paris, D4U1 59).
50. Une partie de devanture, une montre de boutique et des boiseries ont été reléguées au sellier.
51. Lettre de Coudray au baron de La Ferté, 6 septembre 1818 (Arch. nat., O31613).
52. Arch. de Paris, DQ8557.
53. Mémoire de Coudray (Arch. du musée de la Légion d’honneur).
54. Un avoir de 2343 francs est réclamé, il est noté que le duc d’Orléans n’a pas de collier et que celui du duc d’Angoulême est en mauvais état.
55. Mme N. Garnier nous indique pourtant que le collier est payé 4872 francs, le 20 avril 1821, à Leconte joaillier en titre du duc de Bourbon ;
Leconte semble avoir sous- traité à Coudray.
56. Devis remis par Caminade de Castres au comte d’Aguesseau le 2 août 1814 ; il lui transmet en outre la demande du comte de Blacas de
quatre colliers pour les princes, qui ne semble pas avoir été confirmée (Arch. du musée de la Légion d’honneur). Pour comparaison des prix,
Ouzille et Lemoine facturent en 1825 un collier, à peine plus léger (2 marcs 3 gros) et son écrin, sans deuxième croix toutefois, 3705 francs.
57. Arch. nat., O32100, et Bibl. nat., NAF 9567. L.B. Beaugeois, bijoutier-joallier, fait insculper son poinçon vers 1810-1811 ; il est d’abord
rue Chabanais puis s’installe rue de la Paix vers 1820.
58. Journal des Débats, 10 et 11 octobre 1823.
59. Inventaire après décès du 24 octobre 1823 (Arch. nat., MC, XLI/867) ; déclaration du 18 mars 1824 (Arch. de Paris, DQ73541).
58. Ibid.
59. Inventaire après décès du 24 octobre 1823 (Arch. nat., MC, XLI/867) ; déclaration du 18 mars 1824 (Arch. de Paris, DQ73541).
60. Ibid.