La médaille anglaise de Waterloo

 

 

Patrick Spilliaert

 

 

La médaille de Waterloo distribuée officiellement en 1816 aux officiers, sous-officiers et soldats de l’armée britannique survivants de la bataille constitue la toute première médaille commémorative d’une campagne militaire attribuée nominativement où figure sur la tranche une impression mécanique du nom, du grade et du régiment de chaque récipiendaire. A l’époque, cette initiative était d’autant plus remarquable que le gouvernement britannique distribuait très rarement des décorations militaires et ce uniquement aux officiers3.

 

Le premier à suggérer une médaille commémorant la bataille de Waterloo fut le duc de Wellington qui, dans une dépêche adressée au duc d’York datée du 28 juin 1815, suggérait la création d’une médaille destinée aux sous-officiers et soldats. De façon presque simultanée, à la chambre des Communes lors d’un débat tenu le 29 juin, la frappe d’une médaille destinée aux survivants de la bataille fut réclamée.

 

En juillet 1815, le Master du Royal Mint (W. W. Pole) se voyait passer la commande de deux médailles en commémoration des batailles des Quatre Bras et de Waterloo : la première de grande taille frappée en or destinée aux Souverains alliés, ministres et généraux ; la seconde de petite taille en bronze pour être donnée à tous les officiers, sous-officiers et soldats britanniques4 présents lors des engagements. Les artistes de la Royal Academy furent invités à présenter leurs projets. Toutefois, le projet de la

grande médaille d’or ne put jamais voir le jour. Le dessin de la médaille en bronze fut arrêté par le Master et le Graveur en chef du Royal Mint (T. Wyon) : à l’avers, le profil du prince régent d’après une gravure de Sir Thomas Lawrence entouré d’une légende « GEORGE P. REGENT » ; au revers, une femme ailée représentant la victoire, tenant dans sa main droite une palme et dans sa main gauche une branche d’olivier d’après un dessin figurant sur une pièce grecque de l’antique cité d’Elis (vers 480-400 avant JC) sélectionnée parmi celles de la collection de Richard Paine Knight figurant au British Museum. La légende du revers fait figurer les inscriptions « WELLINGTON » au dessus, « WATERLOO » dans un rectangle et « JUNE 18.1815 » en dessous. Le diamètre de la médaille est de 35 millimètres.

 

Les listes régimentaires de tous les régiments britanniques et de la légion germanique furent réclamées le 31 août au Quartier général à Paris afin d’être adressées au Horse Guards à Londres puis transmises au Royal Mint le 18 septembre.

Le 17 septembre dans un courrier à Lord Bathurst, le duc de Wellington revenait sur son idée initiale de limiter l’attribution de la médaille aux sous-officiers et soldats. Il recommandait qu’elle soit attribuée à tous (officiers et soldats du rang) pour être portée suspendue à un ruban dont la composition -rouge foncé liséré de bleu- serait identique à celle utilisée pour les Army gold Medals.

 

 

La préparation de la fabrication et de la frappe des médailles prit plusieurs mois. A l’issue de ce processus, le 10 janvier 1816, le prince régent décidait que la médaille devrait être frappée en argent et non plus en bronze.

 

Les médailles étant prêtes, le duc York, Commandant en Chef de l’armée britannique, annonçait dans un ordre à l’armée en date du 10 mars 1816, publié dans la London Gazette du 24 avril 1816, que la médaille de Waterloo serait conférée à tous les officiers, sous-officiers et soldats présents lors de cette « mémorable occasion »5.

 

Dans les mois qui suivirent, le processus d’attribution des médailles fut décentralisé au niveau régimentaire afin de bien vérifier les états de service de chaque titulaire. Les médailles des hommes tués au champ d’honneur, décédés de leurs blessures, non présents sur les théâtres d’opérations ou dont la conduite fut estimée indigne d’être distinguée, devaient être retournées au Royal Horse Guards. Ce stock de plusieurs milliers de médailles « inappropriées » servit jusqu’en 1830 pour répondre aux requêtes de certaines familles d’officiers pour des attributions à titre posthume ou pour remplacer des médailles perdues ou dont la gravure était erronée ou s’était abimée. Afin de traiter chaque requête, le Royal Mint devait récupérer une médaille du stock dont la gravure de la tranche était alors grattée pour faire l’objet d’une nouvelle attribution.

 

Ce processus minutieux de préparation est riche d’enseignements statistiques sur la connaissance de la bataille de Waterloo. On sait précisément que les effectifs de l’armée britannique engagés du 16 au 18 juin 1815 s’élevaient à 36 269 hommes (liste du Mint Office du 5 mars 1816). Sur ce total, l’état des pertes fut le suivant : 143 officiers et 2014 soldats tués, 586 officiers et 7536 soldats blessés, 19 officiers et 944 soldats manquants. La première livraison du Royal Mint comprenait 36263 médailles. Le nombre total de médailles fabriquées fut de 37638. Au final, environ 32000 Waterloo Medals furent effectivement décernées.

 

Le musée de la Légion d’honneur possède dans ses collections une médaille de Waterloo attribuée à William Atkins, 1st Bat 40th Regiment of Foot. Le premier bataillon du 40th Foot Regiment participa à toutes les campagnes de la Péninsule au Portugal et en Espagne de 1808 à 1814. Le 18 juin 1815, le régiment occupait une position au centre de la ligne de bataille anglaise près de la ferme de la Haye Sainte. Il fut continûment exposé aux offensives de l’infanterie et de la cavalerie française mais réussit à tenir fermement sa position tout au long de la journée. Sur un effectif de 761 hommes, le total des pertes fut de 219 dont 2 officiers tués (notamment son commandant, le Major Heyland) et 10 blessés, 30 soldats tués, 159 blessés et 18 manquants.