L'insigne de surintendante de la baronne Dannery

 

 

Dominique Henneresse

 

 

Le 2 décembre 2011, l’étude Thierry de Maigret a mis en vente à l’Hôtel Drouot des souvenirs historiques provenant de la descendance du Maréchal Canrobert et du comte Joseph-Alexandre-Jacques Durant de Mareuil.

 

Le lot n°45 était ainsi décrit par l’expert, M. Bernard Croissy : «Insigne de surintendante des Dames de la Légion d’honneur, du 3e type, en or émaillé, porté sous la deuxième République, modèle du type précédent mais sans couronne, largeur 42,7 mm, époque Présidence (1848-1850), poinçon tête de bélier, petite garantie de Paris (1819-1838). Très rare modèle. D’après l’ouvrage Les Maisons d’éducation de la Légion d’honneur-insignes, médailles et récompenses, il n’y aurait aucun exemplaire connu.»

 

L’apparition de cet insigne unique, absolument exceptionnel, a mis en émoi les spécialistes des maisons d’éducation de la Légion d’honneur. S’agissait-il vraiment de l’insigne de surintendante ? Ou bien était-ce celui d’une dame dignitaire ? En effet, à cette époque, leurs insignes étaient strictement identiques ; seul leur port différait, celui de la surintendante étant attaché au bas d’un large ruban moiré rouge semblable à celui que portent les grands-croix de la Légion d’honneur tandis que les dames dignitaires le portaient en sautoir, attaché à un ruban de même couleur mais un peu plus large que celui des commandeurs de l’ordre.

 

L’étude généalogique des lignées Canrobert et Durant de Mareuil menée conjointement par l’expert et l’auteur de ces lignes allait apporter la réponse !

 

Bernard Croissy rappelle tout d’abord dans le catalogue la carrière et la filiation du Maréchal Canrobert. Né à Saint-Céré dans le Lot en 1809, il est élève à l’école spéciale militaire de Saint-Cyr en 1825. Sa carrière militaire se déroule en France et en Algérie. De 1847 à 1850, il commande successivement le 2e régiment d’infanterie de ligne, le 2e régiment de la Légion étrangère et le 3e régiment de zouaves. Promu général de brigade en 1850, il devient aide de camp de Louis Napoléon et prend une part active au coup d’État du 2 décembre 1851. Promu général de division, il remporte d’éclatantes victoires à Inkerman et Balaklava. Il est élevé à la dignité de Maréchal de France en 1856. Il participe à la campagne d’Italie avant de prendre le commandement de l’armée de Paris et de siéger au Sénat impérial. Il est fait prisonnier fin 1870 après s’être illustré dans les grandes batailles sous Metz et à Saint-Privat. Libéré en mars 1871, il occupe différentes fonctions militaires jusqu’en 1883. Il est sénateur du Lot en 1876 puis de la Charente en 1879. Il décède à Paris en 1895.

 

 

Mais quel rapport entre le Maréchal Canrobert et la famille Durant de Mareuil ?

L’arrière-petite-fille du Maréchal Canrobert, Marie de Navacelle (1897-1979) avait épousé le baron Jean Durant de Mareuil (1892-1950), arrière-petit-fils du comte Joseph-Alexandre-Jacques Durant de Mareuil.

 

Joseph-Alexandre-Jacques Durant (alias Durand) de Mareuil est né à Paris en 1769 et décèdé à Ay en 1855. Baron d’Empire en 1809, il est confirmé baron héréditaire en 1815 puis comte héréditaire en 1846. Le Dictionnaire des parlementaires français de 1789 à 1889 de A. Robert et G. Gougny détaille sa carrière de diplomate. A partir de 1794, il est en poste à Copenhague ; il revient en France avant d’être affecté en 1805 à Dresde, puis Stuttgart et Naples jusqu’en 1814. Conseiller d’État à la seconde Restauration, il est envoyé en 1820 au royaume des Pays-Bas comme ministre plénipotentiaire, puis en Amérique, au Portugal, de nouveau aux Pays-Bas puis à Londres. Pair de France en 1832, grand’croix de la Légion d’honneur en 1834, il est nommé ambassadeur à Naples. Rappelé 18 mois plus tard, il est mis à la retraite et se retire en Champagne. Marié à Christine Caroline de Schott (1791-1881), il a quatre enfants, Julie Caroline (1810-1889), Sophie Justine (1811-1897), Jean Joseph (comte de Mareuil, 1813-1897), et enfin, Raymond Alexandre (baron de Mareuil, 1818-1887).

 

C’est le mariage de Raymond Alexandre qui fait entrer l’insigne des maisons d’éducation dans la famille Durant de Mareuil. En effet, Raymond Alexandre Durant de Mareuil, officier de marine, épouse le 20 juin 1859 Charlotte Alexandrine Dannery (1834-1886). Les recherches généalogiques sur sa famille menées par Jean Cuny (voir le site http://gw2.geneanet.org) ont mis en évidence que Charlotte, née à Philadelphie, est la fille d’un diplomate, Jean Germain Samuel Adam baron Dannery (Boston 1795-Santiago du Chili 1837) et de son épouse Marie Alexandrine Durant de Saint-André (1810-1881). Charlotte avait deux frères et une soeur, Alexandrine Amélie (1833-1850), décédée à Saint-Denis alors qu’elle y était élève. Le père de Jean Germain s’appelait Jean

Baptiste Thomas Dannery (1744-1806). Il n’avait pas de titre nobiliaire. Avocat, diplomate lui aussi (il sera consul à Malaga, à Boston, à Barcelone et enfin Consul général à Lisbonne), il avait épousé Julie Madeleine Sophie Forget (1772-1851) qui deviendra la célèbre ... baronne Dannery, surintendante des maisons d’éducation du 12 décembre 1837 au 5 juin 1851, date de son décès alors qu’elle était en fonction à Saint-Denis.

L’inventaire analytique des registres des titres et armoiries du premier Empire atteste que c’est à elle que le titre de baronne a été accordé par décret du 19 mars 1810 et lettres patentes du 8 avril 1813 (Archives nationales, BB/29/974), alors qu’elle était la gouvernante des princesses d’Espagne, Zénaïde et Charlotte, filles de Joseph Bonaparte, alors roi d’Espagne. Ses armoiries sont les suivantes : « D’azur, au chevron brisé d’or accompagné de trois étoiles, une en chef et une en pointe du même : sur le tout de gueules, au portique ouvert d’argent qui est le signe distinctif des baronnes attachées aux maisons des princes de notre famille, avec les ornements extérieurs déterminés par Nous, consistant en deux palmes d’argent nouées au bas de l’écu par un ruban de gueules et les livrées prises dans les couleurs de l’écu». Elle fut confirmée dans son titre de baronne héréditaire avec transmission à son fils unique Jean Germain par lettres patentes du 10 mai 1817, enregistrées le 14 février 1818 (Archives nationales, BB/29/1080), avec pour armoiries : « D’azur au chevron brisé d’or accompagné de trois étoiles du même deux en chef, une en pointe» (les deux blasons sont visibles sur le site http://www.coats-of-arms-heraldry.com/armoriaux/noblesse_empire/blasons_D2.html).

L’insigne présenté en vente est donc bien celui de la surintendante comme l’atteste son “parcours” reconstitué.

En 1837, la baronne Dannery est en effet nommée surintendante des maisons d’éducation en remplacement de Marie-Benoite-Joséphine de Prévost de la Croix, baronne de Bourgoing. Il est probable que cette dernière, nommée surintendante honoraire à son départ, a eu l’autorisation d’emporter son insigne de fonction. On sait que le port de cet insigne est interdit à l’extérieur des maisons hors autorisation spécifique du grand chancelier pour des raisons tout à fait exceptionnelles. L’autorisation de conserver son insigne est traditionnellement une marque de reconnaissance particulière, à la discrétion du grand chancelier. Le général Georgelin a ainsi accordé cette faveur à Madame Huguette Peirs en juin 2012, en récompense des services qu’elle a rendus pendant les douze années au cours desquelles elle a été surintendante.

 

A son entrée en fonction, la baronne Dannery reçoit donc un nouvel insigne, du type 2 avec couronne royale, statutairement identique à celui des six dames dignitaires qui sont en 1851: l’inspectrice, la directrice des Études, l’économe remplissant les fonctions de trésorière, la dépositaire de la lingerie, la dépositaire de la roberie, la directrice des novices. A l’avènement de la deuxième République, la couronne royale qui somme la croix est retirée. Aucun texte ne l’a prévu mais ce modèle d’insigne, dit du 3e type, est décrit précisément dans l’Almanach national, annuaire de la République française pour 1848, 1849, 1850. Au décès de la baronne Dannery, le Maréchal Exelmans, grand chancelier, respecta la tradition. Il autorisa Charlotte Alexandrine Dannery à conserver l’insigne de surintendante de sa grand-mère la baronne Dannery (son fils unique - rappelons le - était décédé en 1837). Par filiation directe, cet insigne a été transmis à Jean, baron de Mareuil, puis à sa veuve Marie de Navacelle, avant de rejoindre les cimaises de l’Hôtel Drouot.

 

Ainsi est réapparu un insigne exceptionnel, qu’on croyait à jamais disparu.