L'insignes des Dames des maisons d'éducation de la Légion d'honneur
Dominique Henneresse
A l'occasion de l'entrée dans les collections du Musée, grâce à la générosité de notre Société, d'un insigne de surintendante - ou de dignitaire - des Maisons
d'Education de la Légion d'honneur à l'époque de la Restauration, M. Henneresse a bien voulu nous donner la primeur d'une étude qu'il vient de réaliser sur l'évolution de ces insignes.
Il avait fallu attendre deux ans après la création de l'Ordre pour que les membres de la Légion d'honneur aient une décoration -, il aura fallu onze ans pour que les dames des Maisons d'éducation
aient un insigne.
Lorsque Napoléon signa à Schönbrunn le 15 décembre 1805 le décret instituant des maisons d'éducation pour les filles des membres de la Légion d'honneur, rien n'était prévu pour identifier ou
récompenser l'encadrement. Napoléon d'ailleurs écrivait lui-même que « la maison n'aura une forme définitive que lorsque j'aurai le loisir de la méditer ».
En 1809, Napoléon songea à créer une récompense pour les dames. Il se serait alors agi d'une vraie décoration destinée à honorer celles ayant rendu des services importants au cours de leur carrière
dans l'administration des Maisons ou l'éducation des élèves.
Les événements ne lui laissèrent pas le temps de mettre son projet à exécution.
C'est Louis XVIII qui, lors de la réorganisation des statuts des Maisons, créa en 1816 "une distinction honorifique" pour reprendre la terminologie officielle.
Distinction honorifique certes, décoration non puisqu'il ne s'agissait pas d'une récompense officielle, prise par décret et publiée -, le texte paru dans l'Almanach Royal pour 1817 est très
précis sur ce sujet: « Aucune Dame ne peut porter la Décoration à l'extérieur de la Maison, avant d'avoir rempli ses fonctions avec zèle et assiduité pendant 20 ans à dater du statut de
reorganisation et, dans ce cas, elle doit y être autorisée -, cette faculté devant être considérée comme un témoignage de satisfaction de Sa Majesté ».
Cette terminologie a été reprise par tous les statuts de réorganisation et décrets successifs jusqu'à nos jours.
Cette "décoration spéciale" ne peut donc être portée qu'à l'intérieur des Maisons. Elle traduit dans ce cas la position hiérarchique de la dame qui la porte. A titre exceptionnel, et sur autorisation
particulière du grand chancelier, elle a pu être portée à l'extérieur, revêtant alors le caractère de récompense.
Pour cette raison, nous adopterons le terme d'insigne pour désigner le bijou.
Le personnel des Maisons comportait dès l'origine différents niveaux hiérarchiques:
- 1 surintendante, qui dirige les Maisons,
- 7 dignitaires,
- 10 dames de Ire classe et 36 de 2e classe,
- 20 novices et, à certaines époques, des postulantes au noviciat.
Suivant leur responsabilité dans les Maisons, les dames recevaient un insigne en or ou en argent, d'un diamètre variable, qu'elles portaient en écharpe, en sautoir ou sur le côté gauche de la poitrine.
Les premiers textes officiels nous en donnent le détail:
- insigne de surintendante : croix en or de 42 mm suspendue à un ruban porté en écharpe comme les grand-croix de la Légion d'honneur,
- insigne des dignitaires :croix en or de 42 mm portée en sautoir, suspendue à un ruban un peu plus large que celui des commandeurs de l'Ordre,
- insigne des dames de Ire classe : croix en or de 36 mm portée sur le côté gauche de la poitrine, suspendue à un ruban à rosette comme les officiers de l'Ordre ,
- insigne des dames de 2e classe : croix en or de 36 mm portée sur le côté gauche de la poitrine, suspendue au ruban de chevalier,
- insigne des novices : croix en argent de 36 mm portée sur le côté gauche de la poitrine, suspendue à un ruban de chevalier;
- insigne des postulantes : simple ruban rouge de chevalier, porté sur le côté gauche de la poitrine.
L'insigne de la surintendante et celui des dignitaires étant identiques, c'est-à-dire une croix en or de 42 mm, seules la nature du ruban et la provenance de la pièce peuvent permettre de dire avec
certitude s'il s'agit ou non d'un "Insigne de surintendante".
L'insigne proprement dit consistait en une croix pattée, émaillée de blanc, anglée de fleurs de lis et surmontée de la couronne royale.
Le centre de la croix présentait, d'un côté la Vierge dans son assomption avec en exergue: DIEU, LE ROI, LA PATRIE, et de l'autre côté les armes de France, d'azur à trois fleurs de lis d'or, avec en
exergue: MAISON ROYALE DE SAINT DENIS.
L'insigne évoluera, on le verra, avec les régimes successifs mais conservera sa structure générale de croix à quatre branches et ses dimensions, jusqu'en 1881, date à
laquelle il deviendra officiellement et définitivement une étoile à cinq branches, d'une dimension unique de 40 mm. Le modèle actuel est donc celui de 1881; il est attribué comme suit :
1. étoile en or de 40 mm portée en écharpe, suspendue au ruban de grand-croix de la Légion d'honneur: Mme la Surintendante;
2. étoile en or de 40 mm portée en sautoir, suspendue au ruban de commandeur: Mme l'Intendante générale des Loges; Mme le Censeur de Saint-Denis; Mme le Censeur des Loges,
3. étoile en or de 40 mm portée suspendue au ruban d'officier, sur le côté gauche de la poitrine: Mme l'Intendante des services économiques de Saint-Denis; Mme les Inspectrices ;
4. étoile en or de 40 mm portée, suspendue au ruban de chevalier, sur le côté gauche de la poitrine:professeurs et personnel de bureau titulaires, après un an d'exercice
5. étoile d'argent de 40 mm portée, suspendue au ruban de chevalier, sur le côté gauche de la poitrine :maîtres auxiliaires et dames chargées d'éducation, professeurs titulaires et personnel de bureau avant un an d'exercice
6. ruban de chevalier sans décorationmaîtresses d'internat.
L'insigne ayant évolué dans le temps, sous les différents régimes qui se sont succédé, on peut en dresser la typologie suivante en fonction des textes officiels qui l'ont décrit.
• Type n° 1
- Époque : Restauration.
- Origine : ordonnance royale du 16 mai 1816 (cf. Almanach Royal pour 1817).
- Ruban :
-> pour les novices, ruban blanc liseré de rouge sans rosette ,
-> pour les autres dames, rouge, blanc, rouge par bandes égales.
- Insigne : croix pattée, émaillée de blanc, anglée de fleurs de lis, avec en son centre un médaillon ovale bombé, toujours en or même sur les croix en argent, jusqu'au type no 6.
- Avers :
-> centre: Vierge dans son assomption sur fond émaillé blanc,
-> légende: en exergue DIEU LE ROI LA PATRIE en or sur fond émaillé bleu, une étoile à la partie inférieure.
- Revers :
-> centre: 3 fleurs de lis en or sur fond émaillé bleu et strié horizontalement,
-> légende: en exergue MAISON ROYALE DE ST DENIS en or sur fond émaillé bleu.
- Couronne royale classique de la Restauration, à huit fleurons fleurdelisés et boule surmontée d'une fleur de lis.
• Cette variante est non réglementaire (type no 1 V/A)
- Époque: présumée Restauration.
- Origine : inconnue; peut être considéré comme un modèle de fantaisie.
- Ruban : cette variante est photographiée sans ruban dans l'ouvrage de M. E. Bourdier, on peut supposer que le ruban devait être rouge blanc rouge.
- Insigne : croix pattée, émaillée de blanc, anglée de fleurs de lis, avec en son centre un médaillon ovale.
- Avers :
-> centre : Vierge dans son assomption sur fond rayonnant en or ,
-> légende: DIEU LE ROI LA PATRIE en or sur fond émaillé blanc avec une étoile sur la partie inférieure.
- Revers :
-> centre: HONNEUR ET PATRIE en or sur fond d'émail bleu, soulignée et surmontée d'une étoile,
-> légende: en exergue MAISON ROYALE DE ST DENIS en or sur fond émaillé blanc, avec une étoile à la partie inférieure.
Remarque : presque toutes les Vierges émaillées sur fond rayonnant en or, jusqu'en 1881, présentent les caractéristiques suivantes: robe orangée à rouge, ceinture-écharpe bleu marine, la Vierge reposant sur un tertre vert.
- Couronne royale classique à fleurs de lis.
• Variante hybride non identifiée (type no 1 V/B)
- Époque : présente certaines caractéristiques de la Restauration.
- Origine : inconnue; peut être considéré comme un modèle de fantaisie.
- Ruban : blanc liseré de rouge avec rosette.
- Insigne : croix pattée, émaillée de blanc, anglée de motifs ornementaux enforme de demi-palmes (type Lion de Zaehringen), avec en sonc entre un médaillon ovale.
- Avers :
-> centre : Vierge dans son assomption, sur fond rayonnant en or,
-> légende: MAISON DE ST DENIS en exergue sur fond émaillé bleu.
- Revers :
-> centre: légende HONNEUR ET PATRIE, soulignée et surmontée d'une étoile;
-> légende: en exergue LEGION D'HONNEUR sur fond émaillé bleu.
- Couronne royale classique à fleurs de lis.
Nota: ce modèle figure dans les collections du Musée de la Légion d'honneur mais n'est pas exposé en raison de son peu de crédibilité.
• Type n° 2
- Époque : Monarchie de Juillet.
- Origine : inconnue (cf. cependant Almanach royal et national pour 1831).
- Ruban : rouge.
- Insigne : croix pattée, émaillée de blanc, anglée de rayons effilés, avec en son centre un médaillon ovale; les rayons sont réglementairement d'or pour les dames et d'argent pour les novices, correspondant au métal des insignes.
- Avers :
-> centre : Vierge dans son assomption, sur fond rayonnant en or,
-> pas de légende prévue dans le texte officiel.
- Revers :
-> centre: la devise HONNEUR ET PATRIE, sur fond émaillé bleu, soulignée et surmontée d'une étoile;
-> légende: en exergue MAISON D'EDUCATION DE SAINT DENIS.
Nota: il s'agit de la description officielle, mais les modèles connus portent la légende MAISON DE ST DENIS en exergue à l'avers et la légende LEGION D'HONNEUR en exergue au revers; on les appellera type no 2 bis.
- Couronne : grosse couronne royale à huit fleurons trêflés, ornée de montants à boules.
• Type n° 3
- Époque : IIe République.
- Origine : inconnue (cf. cependant Almanach national pour 1848-1849-1850).
- Ruban : rouge
- Insigne : croix pattée, émaillée de blanc, anglée de rayons effilés, avec en son centre un médaillon ovale.
- Avers :
-> centre: Vierge dans son assomption, sur fond rayonnant en or,
-> pas de légende prévue dans le texte officiel.
- Revers :
-> centre: la devise HONNEUR ET PATRIE sur fond émaillé bleu, soulignée et surmontée d'une étoile,
-> légende: en exergue MAISON D'EDUCATION DE SAINT DENIS.
Remarque: comme dans le type no 2, les modèles connus sont différents de la description officielle, avec la légende MAISON DE ST DENIS en exergue à l'avers et LEGION D'HONNEUR en exergue au revers; on les appellera type no 3 bis.
- Pas de couronne.
Type n° 4
- Époque : Second Empire.
- Origine : décret du 14 août 1857 (cf. Almanach impérial pour 1858).
- Ruban : rouge.
- Insigne : croix pattée, émaillée de blanc, anglée de rayons effilés avec en son centre un médaillon ovale.
- Avers :
-> centre : Vierge dans son assomption, sur fond rayonnant en or,
-> pas de légende prévue officiellement.
- Revers :
-> centre: la devise HONNEUR ET PATRIE sur fond émaillé bleu, soulignée et surmontée d'une étoile,
-> légende: en exergue MAISON D'EDUCATION DE SAINT DENIS.
Variantes: a) Vierge en or sur fond émaillé blanc, b) Vierge en or sur fond émaillé bleu, c) couronne à aigles à gauche, d) insigne de surintendante en argent (Collection des Maisons d'éducation à Saint-Denis).
- Couronne: la description de l'insigne ne mentionne pas la couronne, mais on peut considérer qu'il s'agit d'un oubli puisque la fin du décret précise : «les demoiselles novices portent la même décoration que les dames novices, mais cette décoration n'est point surmontée de la couronne impériale». Il faut attendre l'Almanach impérial de 1861 pour que soit précisée l'existence de la couronne qui se rencontre donc sur tous les types du second Empire. Il s'agit de la couronne impériale classique à huit fleurons, ornée à la base de huit aigles à droite, à montants palmés, surmontée d'une croix latine.
Remarque : comme dans les types no 2 et no 3, les modèles connus sont différents de la description officielle, avec la légende MAISON DE ST DENIS en exergue à l'avers et LEGION D'HONNEUR en exergue au revers; on les appellera type no 4 bis.
Dans son ouvrage Contribution à l'histoire des ordres de mérite, le comte Michel de Pierredon définit un type de croix pattée anglée de motifs ornementaux et surmontée de la couronne
impériale; pour nous, il ne s'agit pas d'un modèle supplémentaire du second Empire mais tout simplement d'un insigne du type hybride présumé de la Restauration dont on a changé la couronne sous le
second Empire.
• Type n° 5
- Époque : début IIIe République.
- Origine : inconnue (cf. cependant Almanach national pour 1871).
- Ruban : rouge.
- Insigne : croix pattée émaillée de blanc, anglée de rayons effilés en or, avec en son centre un médaillon ovale -, on supposera là encore que les rayons peuvent être d'argent sur les insignes des novices prévus normalement en argent.
- Avers :
-> centre : Vierge émaillée sur fond rayonnant en or
-> légende: MAISON DE SAINT-DENIS en exergue.
- Revers :
-> centre: la devise HONNEUR ET PATRIE sur fond émaillé bleu,
-> pas de légende mentionnée dans le texte officiel mais il s'agit probablement là encore d'un oubli.
- Pas de couronne.
Remarque : rien ne permet de distinguer un modèle usuel du type no 3 de celui-ci, les deux types étant identiques et le poinçon inchangé depuis 1838, c'est-à-dire la tête d'aigle pour les croix en or et la tête de sanglier pour les croix en argent.
• Type n° 6
- Époque : IIIe, IVe, Ve Républiques.
- Origine : décret du 30 juin 1881 (cf. Almanach national pour 1882).
- Ruban : rouge.
- Insigne : étoile à cinq branches, émaillée de blanc, anglée de rayons effilés, avec en son centre un médaillon rond bombé en or.
- Avers :
-> centre : légende LEGION D'HONNEUR sur fond d'émail bleu,
-> légende: MAISONS D'EDUCATION en exergue sur la partie supérieure, branche de laurier sur la partie inférieure, en or sur fond d'émail bleu.
- Revers :
-> centre : légende HONNEUR ET PATRIE sur fond d'émail bleu,
-> pas de légende en exergue mais une branche de laurier dont les deux extrémités se rejoignent à midi.
- Couronne ovale du type des Palmes académiques (modèle de 1866), formée d'une branche d'olivier à gauche et d'une de laurier à droite, surmontée d'une boule dans laquelle passe l'anneau d'attache. Variantes : a) branches d'olivier et de laurier interverties (fréquemment sur les premières fabrications du type), b) centre plat (fabrications contemporaines), c) centre en argent (idem), d) insigne en bronze doré au lieu d'or (idem) -, type n°6 bis, e) insigne en bronze argenté au lieu d'argent (idem) ; type no 6 ter.
Le décret du 1er décembre 1920 précise toujours dans son article 30 : « A moins d'une autorisation expresse du grand chancelier, ces décorations ne peuvent être portées que dans l'intérieur des maisons d'éducation de la Légiond'honneur».
L'insigne des dames n'en reste pas moins une marque d'honneur qui distingue depuis près de deux siècles celles qui ont la charge de préparer nos filles, nos sœurs ou nos amies au rôle et aux
responsabilités qu'elles ont à assumer dans la société.