Les médailles du ministère de la Guerre décernées pour l’administration de soins donnés gratuitement aux gendarmes et à leur famille

par Laurent Jullien

Les médailles du ministère de la Guerre décernées pour l’administration de soins donnés gratuitement aux gendarmes et à leur famille
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Dès la création du corps de la gendarmerie nationale, à la fin du XVIIIe siècle par la loi du 16 février 1791, se pose la question de la création d’un service de santé des armées, spécifique pour la gendarmerie, qui quadrillerait l’ensemble du territoire national. Même si on retrouve, au moins à partir du Second Empire, au sein des régiments de gendarmerie de la garde impériale, de la garde de Paris et de la compagnie de la Seine la présence de médecins, un tel service de santé, pour des raisons financières évidentes, ne verra jamais le jour.

Toutefois, afin de garantir la gratuité des soins médicaux dont ils auraient besoin, comme cela est le cas pour les autres unités militaires, il est alors décidé que les gendarmes seraient médicalement pris en charge par les médecins militaires de leur région, comme le précise la circulaire ministérielle du 1er janvier 1853 : « dans chacune des places de garnison où se trouvent des médecins militaires, l’un d’eux, ou plusieurs même, s’il y a opportunité, seront désignés par le général commandant la division, ou par ses délégués, pour donner gratuitement et à domicile les soins médicaux nécessaires, non-seulement aux gendarmes employés dans ladite place, mais encore à leurs femmes et à leurs enfants[1]  ». La même circulaire précisant que « les médicaments seront fournis par ces établissements (hôpitaux militaires), sur bons des médecins appelés à traiter les gendarmes ».

Cependant, suite à la difficulté de trouver des médecins militaires exerçant dans certains territoires ruraux éloignés des grandes agglomérations, la circulaire du 1er janvier 1853 est complétée par un ensemble de mesures ayant pour objectif d’assurer le concours des hôpitaux, des médecins et pharmaciens civils, aux gendarmes des brigades qui, trop excentrés, ne peuvent obtenir les soins et les médicaments des médecins et hôpitaux militaires. Ainsi, la circulaire du 11 mars 1856 acte officiellement ce dispositif et « impose aux médecins civils requis pour le service des fractions de corps de troupe l’obligation de traiter, dans la ville où ils sont employés, gratuitement, les brigades de gendarmerie qui y tiennent garnison, et les femmes et les enfants des gendarmes qui y sont domiciliés[2] ».

À la chute de l’Empire, la toute jeune Troisième République conserve les dispositions émises par le régime précédent et les complète en sollicitant notamment les médecins de campagne à apporter leur soutien aux forces de gendarmerie en leurs accordant les soins gratuitement. Afin d’inciter le volontariat, le gouvernement autorise les nominations et promotions dans l’ordre de la Légion d’honneur de médecins, en récompense d’un engagement significatif et inscrit dans la durée aux personnels de la gendarmerie. On retrouve ainsi, par exemple :

- un certain Antoine Louis François Noël (1797-1881), médecin à Gravelines dans le Nord, nommé chevalier de la Légion d’honneur par décret présidentiel du 6 décembre 1876 pour avoir donné pendant cinquante-trois ans gratuitement des soins aux personnels de la gendarmerie[3],[4] - ce médecin est notamment détenteur d’une « médaille d’argent donnée par le Président de la République le 18 mai 1850 » et d’une « médaille de vermeil que le conseil municipal, au nom de toute la population, lui a remise le 16 août 1850 » pour sa « belle conduite pendant l’épidémie cholérique, épidémie qui ravagea la ville de Gravelines et ses hameaux » en 1849 - ;

- un certain docteur Faure, médecin à Die dans la Drôme, nommé chevalier de la Légion d’honneur par décret du 12 juillet 1898 pour soixante-huit années de soins gratuits apportés à la gendarmerie[5] - sans doute un record de longévité d’engagement auprès des forces de gendarmerie - ;

- ou encore le docteur Adolphe Amédée Cavoret (1802-1884), médecin à Duclair en Seine-Inférieure, promu officier de la Légion d’honneur par décret présidentiel du 13 janvier 1879 pour avoir donné gratuitement pendant quarante-deux ans des soins aux personnels de la gendarmerie[6],[7] - on lui avait décerné en 1860 une « médaille de bronze, grand module délivrée par l’autorité préfectorale de la Seine inférieure pour soins gratuits à la brigade de la gendarmerie de Duclair depuis sa création jusqu’à ce jour » et en 1861 une « médaille d’argent délivrée par M. le Ministre de l’agriculture et du commerce pour soins gratuits aux gendarmes du cantons et de vaccinations » -.

 

Mais ces nominations trop rares et intervenant après de très longues périodes d’engagement restent peu incitatives. De plus, celles-ci semblent n’être décernées qu’aux seuls médecins, excluant les autres professions médicales de cette récompense : dentistes, pharmaciens et vétérinaires. Aussi, il est décidé par décret ministériel du 17 mars 1900 de créer une distinction honorifique graduée venant récompenser de manière systématique l’engagement du corps médical en faveur des gendarmes et de leur famille : une lettre d’éloges officiels après dix ans de services volontaires et bénévoles, une médaille de bronze après quinze années de services, une médaille d’argent après vingt années, une médaille de vermeil après vingt-cinq années[8].

Ces récompenses sont destinées aux médecins qui prodiguent gratuitement leurs soins, bien entendu, mais aussi aux dentistes, aux pharmaciens qui offrent gratuitement leurs médicaments et aux vétérinaires qui soignent sans compensation financière les animaux, chiens et chevaux, de la gendarmerie. En complément de ces dispositions, des décorations de l’Instruction publique et du Mérite agricole peuvent être demandées pour les médecins, pharmaciens et vétérinaires signalés par l’autorité militaire. Enfin, au-delà de trente années de soins prodigués gratuitement aux personnels de la gendarmerie, une nomination ou promotion dans l’ordre de la Légion d’honneur peut alors être formulée ; la médaille de vermeil reçue pour vingt-cinq année de soins gratuits devenant une référence privilégiée dans l’étude des dossiers.

La médaille du ministère de la Guerre

 

La médaille du ministère de la Guerre, ainsi créée, pour soins gratuits donnés à la gendarmerie est une médaille de table (donc non portative) d’un diamètre de 36mm, le plus souvent en bronze, mais qui peut parfois être en argent ou en vermeil ; la qualité du métal étant indiquée sur la tranche (Figure 1). 

Figure 1 : Qualité du métal gravé sur la tranche de la médaille. ©LJ

 

D’une masse de 19,1 grammes pour les médailles en bronze et de 21,8 grammes pour celles en argent ou en vermeil, elle est frappée par la Monnaie de Paris d’après une œuvre du graveur-médailleur Daniel Dupuis (1849-1899) sur l’avers et d’un décor de Henri Alfred Auguste Dubois (1859-1943) sur le revers.

L’avers (Figure 2) représente un buste de Marianne de profil à droite avec une couronne de laurier et de chêne dans la chevelure, comportant l’inscription « REPUBLIQUE FRANÇAISE » de part et d’autre du portrait. Il est signé « Daniel Dupuis ». Cette même gravure se retrouve également sur différentes médailles émises notamment par le ministère de la Guerre : médaille pour services rendus au ravitaillement national, de la préparation militaire, prix de tir ou d’instruction offert ou sur les médailles de la Ligue française et la Ligue maritime française.

 

Figure 2 : Avers de la médaille du ministère de la Guerre attribuée pour soins gratuits donnés à la gendarmerie : échelons bronze, argent et vermeil. Représentation de Marianne selon le graveur-médailleur Daniel Dupuis. ©Collection particulière.

 

Le revers est constitué d’une couronne formée d’une branche de chêne à gauche et d’une branche de laurier à droite entourée des mots « MINISTÈRE DE LA GUERRE SOINS DONNÉS GRATUITT À LA GENDARMERIE » pour les médecins et chirurgiens-dentistes (Figure 3), « MINISTÈRE DE LA GUERRE MÉDICAMENTS FOURNIS GRATUITT À LA GENDARMERIE » pour les pharmaciens (Figure 4A) ou « MINISTÈRE DE LA GUERRE SOINS DONNÉS GRATUITT AU CHEVAUX DE LA GENDARMERIE » pour les vétérinaires (Figure 4B). Au centre, se trouve un cartouche où est inscrit le nom du titulaire, sa qualité (médecin, chirurgien-dentiste, pharmacien ou vétérinaire), la ville où il exerce suivi du département entre parenthèses. Il est à noter que la qualité de chirurgien-dentiste peut être retrouvée sous la forme « CHIRURGIEN-DENTISTE » ou « CH. DENTISTE » (Figures 4D et E). D’autre part, et de façon beaucoup plus rare, certaines portent la mention « DOCTEUR » en lieu et place de « MÉDECIN » (Figure 4C).

 

Figure 3 : Revers de la médaille du ministère de la Guerre attribuée pour soins donnés gratuitement à la gendarmerie attribuée à un médecin de Laroquebrou dans le Cantal : échelons bronze, argent et vermeil. Décor du graveur Henri Alfred Auguste Dubois. ©Collection particulière.

Figure 4 : Revers de la médaille du ministère de la Guerre attribuée pour soins gratuits donnés à la gendarmerie attribuée à différents membres du personnel médical. Décor du graveur Henri Alfred Auguste Dubois. A. Médaille attribuée à un pharmacien de Vitteaux dans la Côte-d’Or, échelon vermeil ; B. Médaille attribuée à un vétérinaire de Coutances dans la Manche, échelon argent ; C. Médaille attribuée à un médecin (« docteur ») de Monfleur dans le Périgord, échelon bronze ; D. Médaille attribuée à un chirurgien-dentiste de Neuville-sur-Saône dans le Rhône avec inscription « CHIRURGIEN DENTISTE », échelon argent ; E. Médaille attribuée à un chirurgien-dentiste de Neuville-sur-Saône dans le Rhône avec inscription « CH. DENTISTE », échelon vermeil. ©Collection particulière.

 

L’écrin de la médaille du ministère de la Guerre

 

Les médailles sont présentées dans des écrins (Figure 5) : de petites boites rigides cartonnées sans inscription, tout d’abord de forme ronde, afin de mieux épouser la forme de la médaille, puis de forme carrée. De couleur bleue, verte ou rouge, ils sont constitués de deux battants reliés par une charnière en métal argenté ou doré, maintenu fermé par un fermoir de matière identique à la charnière. L’intérieur est dans le même ton de couleur que la partie extérieure et fait de velours. Une languette de velours permet de soulever la médaille sans détériorer le tissu. Sobre et élégant, les écrins sont conçus pour mettre en valeur la médaille et son inscription : nom, ville et département du récipiendaire.

Figure 5 : modèles d’écrins de la médaille du ministère de la Guerre attribuée pour soins gratuits donnés à la gendarmerie. ©Collection particulière.

 

La lettre d’attribution de la médaille du ministère de la Guerre

 

La médaille est accompagnée d’un courrier pré-imprimé à en-tête de la « République Française », émis par le « Ministère de la Guerre, Direction de la cavalerie, Bureau de la gendarmerie, Avis de concession d’une médaille » (Figure 6). Le texte est sobre et se veut solennel. Le formulaire est pré-imprimé et complété de manière manuscrite : « Le Ministre de la Guerre informe M [Nom et prénom], médecin à [ville et département] qu’une médaille d [échelon], lui est décernée, en récompense des soins qu’il donne gratuitement depuis [durée des services], aux militaires de la gendarmerie et à leurs famille ». Le document est daté (date de lieu et de temps manuscrites) et signé, « pour le Ministre et par délégation », par le général commandant de la région militaire où vit le titulaire ou le gouverneur militaire de Paris pour les médecins d’Ile de France. Notons qu’à partir de la fin des années 1920, le document n’est plus émis par la direction de la cavalerie mais par la direction de la gendarmerie et qu’à partir de cette date apparait en haut à droite du document la mention « N°130 de la nomenclature spéciale ».

Figure 6 : Courriers d’attribution de la médaille du ministère de la Guerre pour soins gratuits donnés à la gendarmerie pour un médecin exerçant à Fontenay-sous-Bois dans la Seine : échelons bronze, argent et vermeil. ©Collection particulière.

 

Conclusion

 

La remise de ces médailles, destinées à récompenser « médecins, pharmaciens, chirurgiens-dentistes et vétérinaires civils qui accordent gratuitement à la gendarmerie les services de leur profession », semble cesser avec le début de la Seconde Guerre mondiale avant d’être réactivée dans les années 1950[9]. Bien que moins prestigieuses que d’autres décorations accordées au personnel médical, comme la médaille d’honneur des épidémies ou la médaille d'honneur de l’assistance publique, possédant elles aussi l’inscription du titulaire, elle reste néanmoins un prestigieux témoignage de reconnaissance de la part du gouvernement.

 

 

 

 

[L’auteur remercie très sincèrement Guillaume (Omnicollector), Olivier (Bison) et Christophe (Christophe69), membres du Forum Insignes Médailles, pour l’avoir aimablement autorisé à utiliser leurs illustrations dans le cadre de cet article.

 

Toute référence à cet article doit préciser : Jullien L. : Les médailles du ministère de la Guerre décernées pour l’administration de soins donnés gratuitement aux gendarmes et à leur famille.  Clystère (www.clystere.com), n° 75, avril 2022.]

 

Notes de bas de page

 

[1] Pierre Auguste Didiot, Code des officiers de santé de l'armée de terre, ou Traité de droit administratif, d'hygiène et de médecine légale militaires, complété des institutions qui régissent le service de santé des armées, 1863, Vol. 2, p. 418-149.

[2] Ibid.

[3] Décret du président de la République française n° 9060 conférant l’ordre national de la Légion d’honneur, Bulletin des lois de la République Française, XIIe série, premier semestre de 1877 contenant les décrets d’intérêt local ou particulier depuis le 1er janvier 1877 jusqu’au 30 juin inclusivement, Paris, Imprimerie Nationale, 1877, partie supplémentaire, tome XIV, p.766.

[4] Dossier individuel de la Légion d’honneur, Archives nationales, cote LH//1996/2, notice L1996002.

[5] Lyon médical, organe officiel de la Société médicale des hôpitaux de Lyon et de la Société médico-chirurgicale des hôpitaux de Saint-Etienne, 1898, Vol. 88, p. 461.

[6] Décret du président de la République française n° 9060 conférant l’ordre national de la Légion d’honneur, Bulletin des lois de la République Française, XIIe série, premier semestre de 1879 contenant les décrets d’intérêt local ou particulier depuis le 1er janvier 1879 jusqu’au 30 juin inclusivement, Paris, Imprimerie Nationale, 1879, partie supplémentaire, tome XVIII, p.459.

[7] Dossier individuel de la Légion d’honneur, Archives nationales, cote LH/456/6, notice L0456006.

[8] Cochet de Savigny, Dictionnaire de la gendarmerie, 35e édition, 1900, p.454.

[9] Circulaire n° 42190-Cab./Déco./F. du 1er octobre 1951, Bulletin officiel édition méthodique numéroté 326-2 consacré aux décorations et récompenses diverses, 1956, p.265.