Le brevet de la médaille coloniale avec agrafe ASIE
par Cyrille Cardona
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Contexte de création
Créée par l’article 75 de la loi de finances du 26 juillet 1893, la médaille coloniale récompense, à l’aide d’agrafes distinctes, les services militaires résultant de la participation à des opérations de guerre dans une colonie ou dans un pays de protectorat.
Dès l’origine, il est prévu qu’elle puisse récompenser avec effet rétroactif des opérations militaires coloniales antérieures à sa création. Au début du XXe siècle, la médaille coloniale avec agrafe est destinée à récompenser, sans condition de temps de service, « les services militaires résultant de la participation à des opérations de guerre dans une colonie ou un pays de protectorat ».
L’article 77 de la loi de finances du 13 avril 1898 étend son attribution aux fonctionnaires civils qui ont pris part à des opérations de guerre aux colonies, et, sur proposition des gouverneurs et des chefs de mission, aux militaires et aux civils ayant participé à des missions coloniales périlleuses, où ils se sont distingués par leur courage.
La loi du 30 juin 1903 permet son attribution aux membres des missions africaines et asiatiques des années 1875-1878 et suivantes[1]. L’article 2 de cette loi précise que « La médaille coloniale sera attribuée, par décret ministériel, aux membres des différentes missions d'études ou d'exploration opérées en Afrique et en Asie depuis la même époque, ainsi qu'aux correspondants de la presse française accrédités auprès de l'état-major et ayant suivi effectivement les opérations militaires aux colonies et pays de protectorat ». Cela élargit le périmètre habituel des attributions de cette médaille.
Un premier décret pour 24 missions
Cependant, il aura fallu dix années de recherches au ministère des Colonies pour retrouver toutes les missions pouvant rentrer dans la catégorie de l'article 2 de la loi du 30 juin 1903.
Par l’article 2 du décret du 11 juin 1913[2], l’agrafe « ASIE » est donc créée et le droit à la médaille coloniale avec cette agrafe est acquis à tous les membres des 24 missions effectuées en Asie depuis 1870, et listées dans ledit article :
1- Mission archéologique et scientifique de M. Aymonier, dans les provinces de Thauh-Hoa et Binh-Thuan (1882-1883).
2- Mission scientifique accomplie au Tonkin par M. Babansa, naturaliste (1886).
3- Mission scientifique dans les montagnes reliant le Cambodge, la Cochinchine et l'Annam : docteur Yerse (1892).
4- Mission d'abornement des frontières sino-annamites : général Servières (1893).
5- Mission d'exploration du lieutenant Leblond : recherche des communications par la région montagneuse entre Hué et Tourane (1893).
6- Mission d'exploration chez les Moïs entre le Donnaï et le Sébang-Khan : docteur Yersin (1892).
7- Mission d'opérations de délimitation et d'abornement de la frontière sud-annamite entre Long-Po et Muong-Le, accomplie par les commandants Tournier et Lugan (1894).
8- Mission d'études des voies de communication entre le fleuve Rouge, le haut Mékong et le Yang-Tsé-Kiang : M. Bonin, vice-résident (1895).
9- Reconnaissance effectuée par M. Castanier, commissaire du Gouvernement, dans la région du Darlac et du Haut-Phu-Yen (1896).
10- Missions topographiques en Cochinchine, en Annam et au Cambodge : capitaine Thouard (1897).
11- Mission des chemins de fer de l'Indo-Chine : lieutenants Petit et Morin (1897).
12- Mission scientifique pour l'étude de la lèpre en Cochinchine : le docteur Cognaq (1897).
13- Mission d'études de construction des prolongements de routes en territoires militaires, en vue de pénétration commerciale au Yunnan, accomplie par le colonel Pennequin (1897).
14- Mission topographique de la Cochinchine, de l'Annam et du chemin de fer de Saïgon à Phantiet : M. Leroy, conducteur des travaux publics (1898).
15- Mission d'exploration dans le bassin du Donaï : M. Oddera, garde forestier (1898).
16- Mission d'études de la route reliant la province de Bien-Hoa au Lang-Biang : capitaine Bernard (1898).
17- Mission d'études du chemin de fer de pénétration en Chine par le Yunnan : mission Guillemoto et Leclère (1898).
18- Mission d'études du chemin de fer en Chine, par le Quang-Si : mission Wiard (1898).
19- Mission d'études de la lèpre et des moyens de la combattre, accomplie au Tonkin par le docteur Jeanselme (1899).
20- Mission d'études du chemin de fer de Saigon à Thanh-Hoa, accomplie par M. Blim, ingénieur des travaux publics (1899).
21- Missions ayant pour objet l'étude du chemin de fer ou de la route de Kompong-Chuang à Pursat, Soai-Dong-Kéo : M. Robert, conducteur des travaux publics, lieutenants Chauvet et Quatrefages (1900-1903).
22- Mission d'études des voies de pénétration vers le Dailac et le Haut-Donnaï, accomplie par M. Roy, des travaux publics (1901-1902).
23- Mission de pénétration pacifique au Laos de M. Sestier, résident (1903-1904).
24- Mission archéologique de M. Parmentier et du Père Durand, dans les provinces de Thanh-Hoa et Binh-Thuan (1903-1904).
Un second décret pour ajouter 2 missions
Le décret du 20 juin 1920[3] vient compléter le précédent avec deux autres missions :
25- Reconnaissance effectuée par M. Castanier, commissaire du Gouvernement dans la région Djarai et le Haut-Phuyen (1899).
26- Missions d'exploration et d'études, en Annam, des routes d'accès au Lang-Bian effectuées par M. Garnier, chancelier de résidence (1898-1899).
Ce sont donc 26 missions d’études ou d’exploration qui permettent à leurs participants de demander le droit de port de la médaille coloniale avec agrafe « ASIE », car il s’agit bien d’une démarche personnelle de l’intéressé qui demande l’étude de son droit à porter l’agrafe et qui incombe in fine au ministère des Colonies.
Le brevet de la médaille coloniale avec agrafe « ASIE »
Trois ministres ont signé la loi du 30 juin 1903 (Guerre, Marine, Colonies), mais les brevets attribuant l’agrafe « ASIE » sont décernés par le ministère des Colonies. Ils sont majoritairement du type de la 3e République avant la 1re Guerre mondiale, mais ils pourraient être du type d’après la 1re Guerre mondiale pour des brevets établis tardivement.
Lors de recherches aux Archives nationales de l’Outre-Mer en juillet 2021, il a été consulté le dossier DAM 18 qui contient les dossiers de demandes des agrafes « AFRIQUE » et « ASIE ». Ce sont 15 demandes formulées pour l’agrafe « ASIE » qui figurent dans ce dossier, elles ont été envoyées en 1913 et 1914. Parmi elles se trouve celle de l’inspecteur de 1re classe Arnoux de la garde indigène de l’Indochine dont le brevet est présenté ci-après.
Charles François Arnoux (1865-1947),
Inspecteur principal de la Garde indigène de l’Indochine. © CC
Incorporé le 16/10/1886 au 2e régiment d’infanterie de Marine, il sert à partir de mars 1888 en Annam en guerre. Sergent fourrier en septembre 1889, il est mis à la disposition du Protectorat pour servir dans la Garde indigène à partir du 11 mars 1890. Il y sert jusqu’en août 1920, avec également des missions au Laos et au Tonkin. Il gravit tous les échelons en Asie, de garde principal de 3e classe à inspecteur principal. Il est fait chevalier de la Légion d’honneur par décret du 05 février 1921[4].
Dans son courrier du 22 septembre 1913 écrit à Hai-Duong par lequel il initie sa demande de médaille coloniale avec agrafe « ASIE », l’inspecteur de 1re classe Arnoux de la garde indigène de l’Indochine écrit qu’il a participé à la reconnaissance opérée par M. Castanier, alors commissaire du Gouvernement à Stung-Treng, dans la région du Darlac et du Haut Hui-Yen, avec un détachement de 60 gardes indigènes de la brigade de Khong qu’il commandait. Il indique qu’il était accompagné de deux gardes principaux de sa brigade : MM. Damerment et Robert, morts depuis. Ainsi, il déclare que M. Castanier et lui sont les seuls survivants des 4 Européens qui faisaient partie de cette mission.
Brevet de la médaille coloniale avec agrafe « ASIE »
de Charles François Arnoux ©CC
Description d’un brevet selon la grille d’analyse diplomatique[5]
Les caractères externes d’un brevet attribuant cette médaille coloniale indiquent qu’il est en papier non filigrané, du format portrait et possédant deux feuilles. Une page mesure 21,2 cm de large par 32 cm de long, selon les observations tirées de l’étude de dizaines de ces brevets. Or ce brevet a été retaillé et il mesure 21 cm par 30 cm et il ne possède qu’une feuille.
La mise en page est sobre, sans décor. Seule la première page est imprimée avec des caractères de couleur noire, laissant des zones prévues pour être renseignées à la main.
Certains brevets présentent sur le bord gauche une mention imprimée de la commande passée par le ministère auprès de l’imprimeur pour la fabrication du brevet.
Les caractères internes indiquent dans le Protocole que c’est un des ministères de la République française qui est l’autorité supérieure d’attribution de ce brevet. Le titre est le même sur tous les brevets « Médaille coloniale ». La souscription indique clairement l’autorité décernant le brevet : « Le Ministre des Colonies ».
Dans le texte, le dispositif identifie la certification faite par l’autorité « certifie que » et l’exposé indique clairement la raison de l’émission de ce brevet « a obtenu, conformément aux dispositions de l’article 2 de la loi du 30 juin 1903, la médaille coloniale ». Il faut noter que la mention de la loi a été ajoutée à la main puisque cette agrafe « ASIE », comme l’agrafe « AFRIQUE », a été créée par une loi particulière et le ministère des Colonies n’aura pas fait imprimer des brevets spécialement pour cela.
Dans le protocole final, la date de lieu est imprimée et indique Paris. La date de temps est laissée libre et doit être remplie à la main.
Le critère de validité du brevet est la signature de l’autorité (ici manuscrite, celle du général qui a délégation de signature du ministre), accompagné du timbre humide de la Grande chancellerie de la Légion d’honneur (timbre humide à l’encre noire). À noter que le ministère des Colonies n’a pas apposé le cachet de l’autorité signataire (timbre humide à l’encre bleue ou noire), ce qui se voit pourtant pour d’autres agrafes.
Pour finir, deux cartouches sont présents et indiquent un numéro d’enregistrement : l’un auprès du ministère de l’autorité signataire, l’autre auprès de la GCLH. Le premier numéro nous indique le nombre de brevets décernés par le Ministère au moment de la signature (toutes agrafes confondues), celui de la GCLH indique le nombre de brevets enregistrés pour cette médaille, tous ministères et toutes agrafes confondus ayant délivré des brevets de la médaille coloniale.
Conclusion
Les brevets de la médaille coloniale avec agrafe « ASIE » sont assez rares puisque les demandes n’ont pu être réellement formulées qu’à partir de 1913, pour des missions effectuées entre 10 ans et 30 ans plus tôt. En effet, les demandes envoyées en 1903 ou 1908[6] n’ont pas pu aboutir, faute de texte précis et d’identification des missions ouvrant le droit à la médaille coloniale…
Ce qui veut également dire que la médaille coloniale avec agrafe « ASIE » a commencé à être portée à partir de 1913.
Seules 26 missions ouvrent droit à cette agrafe, sachant par exemple que pour la mission de M. Castanier de 1896, seuls deux Européens étaient encore vivants pour la demander, sur les quatre ayant pris part à cette mission ; mais il n’est pas fait mention des combattants autochtones qui auraient pu demander la décoration.
L’estimation du nombre de médailles coloniales avec l’agrafe « ASIE » décernées n’est pas encore possible, mais il apparait qu’il y en aurait eu beaucoup moins de demandées que de théoriquement attribuables !
[2] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k62746992/f13.item
[3] https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k63861700/f82.item
[4] https://www.leonore.archives-nationales.culture.gouv.fr/ui/notice/8652
[5] La diplomatique est une science développée à partir du XVIIe siècle par don Mabillon dans le but initial de juger de la sincérité d’un acte. La méthodologie élaborée pour comparer des actes de même provenance et évaluer par ce moyen l’authenticité d’un acte fournit une grille d’analyse applicable à tout type d’acte, ancien comme moderne, que nous nous proposons d’utiliser pour identifier les caractéristiques principales des brevets décernés.
[6] Cf. dossier du Chef de bataillon Simon aux ANOM, DAM 18